West Ford : L’Opération Secrète de l’Armée Américaine pour la Communication Spatiale

Un Projet Ambitieux pour Contourner les Limitations de l’Ionosphère

Au début des années 1960, en pleine Guerre froide, l’armée américaine a lancé un projet audacieux et controversé connu sous le nom de Projet West Ford. Initié par le Lincoln Laboratory du Massachusetts Institute of Technology (MIT) à la demande de l’armée américaine, ce dispositif de télécommunications spatial passif visait à créer une ionosphère artificielle pour assurer des communications militaires fiables à grande distance. Ce projet a été conçu pour remplacer les câbles sous-marins, vulnérables en cas de conflit avec l’Union soviétique.

La Genèse du Projet

À cette époque, la majorité des communications internationales militaires étaient dépendantes de câbles sous-marins ou de postes émetteur-récepteur radio utilisant les propriétés naturelles de l’ionosphère. Cependant, cette couche de l’atmosphère, située entre 50 et 800 km d’altitude, présentait des variations de réflexion des ondes radio en fonction de l’heure, de la saison et de l’activité solaire, rendant les communications incertaines. Les satellites de télécommunications n’existant pas encore en 1958, l’armée américaine craignait que l’Union soviétique puisse couper les câbles sous-marins, laissant les forces déployées sans moyens de communication fiables.

Objectifs et Déroulement du Projet West Ford

Création d’une Ionosphère Artificielle

Le Projet West Ford avait pour objectif de créer une ceinture constituée de 480 millions d’aiguilles de cuivre tout autour de la Terre. Ces aiguilles, de 25,4 μm de diamètre (réduites à 17,8 μm lors de la deuxième tentative en 1963) et pesant 40 microgrammes chacune, devaient former des antennes dipolaires de 1,78 cm de long, correspondant à la moitié de la longueur d’onde des communications radio à 8000 MHz. Placées sur une orbite polaire entre 3 500 et 3 800 km d’altitude, ces aiguilles devaient se disperser pour créer une bande réflectrice de 15 km de large et 30 km d’épaisseur, avec une distance moyenne de 400 mètres entre chaque dipôle.

Déroulement des Lancements

Les paquets d’aiguilles, pesant au total 40 kg (20 kg d’aiguilles et 20 kg pour le système de dispersion), ont été lancés à deux reprises comme charges annexes aux satellites d’alerte précoce MIDAS. Le premier lancement, Midas 4, le 21 octobre 1961, échoua car les aiguilles ne se dispersèrent pas correctement. La deuxième tentative, Midas 6, le 9 mai 1963, fut réussie, et après environ 40 jours, les aiguilles formèrent une ceinture autour de la Terre, permettant des communications atteignant un débit de 20 000 bits par seconde. Toutefois, quatre mois plus tard, le débit chuta à 100 bits par seconde, rendant le dispositif obsolète face aux progrès rapides des satellites de télécommunications.

Système de dispersion rotatif

Réactions et Conséquences

Opposition Internationale et Protestations

Le projet suscita de vives protestations de la part de la communauté scientifique, notamment des radio-astronomes, des astronomes britanniques et de la Royal Astronomical Society, craignant des perturbations dans leurs observations. Le journal soviétique Pravda dénonça le projet sous le titre “Les États-Unis polluent l’espace”. À l’ONU, l’ambassadeur américain Adlai Stevenson dut défendre le projet, expliquant que la pression de radiation solaire entraînerait une rapide dégradation de l’orbite des aiguilles, qui devraient retomber dans l’atmosphère en trois ans. Finalement, ces débats aboutirent à l’inclusion d’une clause sur le sujet dans le Traité de l’espace de 1967.

Héritage et Situation Actuelle

En dépit des assurances des partisans du projet, des aiguilles subsistent encore en orbite en 2010. Les problèmes rencontrés lors du premier lancement en 1961 empêchèrent une dispersion adéquate, laissant des paquets d’aiguilles dont le rapport surface/masse était insuffisant pour que la pression de radiation solaire joue son rôle prévu. Le deuxième lancement ajouta environ 1 000 paquets supplémentaires. Aujourd’hui, ces aiguilles font partie des débris spatiaux catalogués et surveillés par des radars au sol. Périodiquement, certaines d’entre elles rentrent dans l’atmosphère terrestre.

Source 1

Source 2

Source 3

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