« Les SDF salissent, dérangent, troublent la quiétude des vacanciers » — c’est ainsi que l’on murmure sur les places provençales, derrière les stores des cafés bourgeois, tandis que la brise estivale emporte le parfum des lavandes et des jugements hâtifs. On les voudrait invisibles, inodores, inaudibles, ces ombres humaines qu’on nomme « sans domicile fixe », comme si l’absence de toit justifiait l’effacement du visage. L’arrêté pris le 10 juin dernier à Hyères, par Jean-Pierre Giran, maire à l’autorité paisible et au verbe tranchant, n’est que le prolongement administratif de ce désir profond : rendre la ville au tourisme, à la carte postale, à l’illusion d’un monde sans misère.
Mais cette illusion se heurte à l’Histoire. Il y eut, jadis, un autre Hyères, celui des invalides de guerre, des convalescents des grands conflits, accueillis au soleil pour réparer les corps et les âmes. La ville s’était faite refuge. À cette époque, la République, blessée mais digne, n’excluait pas ses enfants. L’arrêté de 2025 tranche avec ce souvenir. Il trace des lignes invisibles dans la cité, zones interdites aux errants, sanctuaires pour les valises à roulettes et les parasols. Ce n’est plus la cité hospitalière d’hier, mais un espace trié, filtré, domestiqué par la peur du trouble.
Derrière cet acte réglementaire, il y a plus qu’une simple mesure de police. Il y a une esthétique du pouvoir : celle qui façonne le réel par le visible. Interdire le campement, limiter la mendicité, c’est sculpter une image urbaine, aseptisée, où chaque passant devient figurant d’un théâtre rassurant. La pauvreté, quant à elle, est reléguée hors-champ, comme un accessoire de mauvais goût. Le symbolisme est cruel : le SDF n’est pas un citoyen à protéger, mais une nuisance à disperser.

Ce geste n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une longue chaîne de décisions qui, de Calais à Nice, dessinent une nouvelle géographie du bannissement. On ne combat pas la misère ; on la déplace. Le stoïcien Épictète écrivait : « Ce n’est pas ce qui nous arrive qui nous trouble, mais notre manière de le voir. » À Hyères, on a choisi de ne plus voir. Mais que devient une cité qui refuse de se confronter à ses propres marges ?
La Ligue des Droits de l’Homme a tenté d’ouvrir les yeux du droit. En vain. Le Tribunal administratif l’a déboutée. Aucun doute sérieux n’aurait été soulevé. L’expression est glaçante. Car si la légalité est sauve, où est passée la légitimité ? Le juge, bras neutre de l’ordre, confirme l’oubli organisé. Le désordre ne vient plus de la misère, mais de sa visibilité.
Derrière cette sentence, une société s’interroge, ou devrait le faire. Qui décide de ce qui trouble ? Quelle ville voulons-nous, sinon une vitrine vide d’âme ? Où commence le droit d’habiter, sinon dans le fait même d’exister ?
Qui peut croire encore qu’une ville se protège en traquant l’indigent ? Que reste-t-il de la fraternité, quand l’espace public devient un territoire à défendre contre les plus faibles ? Et surtout : à force de chasser les visages de la pauvreté, ne chasse-t-on pas aussi les traits mêmes de notre humanité ?
Quelques jours plus tôt, à l’ombre d’un palais de justice, une décision tombait comme une pierre dans l’eau calme d’un été provençal. Elle ne fit pas de bruit. Mais le miroir de la ville en fut brisé. Reste le reflet déformé d’un ordre sans justice, comme un mirage doré sur fond de cendres.

Je boycotterai Hyères!
Un article poignant qui dénonce avec éloquence l’inhumanité des politiques d’exclusion. Hyères sacrifie sa mémoire solidaire sur l’autel du tourisme.
Au moins, le maire prend des initiatives ! Il est facile de critiquer, mais combien de municipalités ignorent complètement ce problème ? La nouvelle salle est un début.