Blancanieves, l’identité à travers le souvenir

Affiche du film
Blancanieves de Pablo Berger (2013)

Pour conclure ce mois hispanique, je vous propose un voyage dans le passé avec Blancanieves de Pablo Berger, sorti en 2013. Ce film revisite le conte de Blanche-Neige en le mêlant à la culture andalouse et aux codes du cinéma muet. Ce projet audacieux, où le taureau devient justicier du toréador, ne réécrit pas seulement Blanche-Neige : il transforme un conte universel en une tragédie aussi espagnole que personnelle.

Le cinéma muet, retour à l’émotion universelle

Pablo Berger a choisi de renouer avec les codes du cinéma muet en noir et blanc du début du XXe siècle. Comme dans The Artist (de Michel Hazanavicius, 2011), dans Blancanieves la musique remplace les dialogues, les acteurs adoptent un jeu très expressif, parfois caricatural, et les scènes sont ponctuées d’intertitres. Ce retour en arrière n’est pas un simple effet de style : il sert l’histoire et dans Blancanieves l’histoire personnelle plus que celle du cinéma.

Dans les années 20, Carmen, une Blanche-Neige andalouse, évolue dans un univers où le cinéma muet s’impose naturellement, recentrant l’attention sur les émotions. Comme dans le conte originel, c’est le réalisateur qui devient le narrateur principal, et non les protagonistes.

Carmen, blanche-neige andalouse incarnée par Macarena Garcia
Carmen, incarnée par Macarena Garcia

Le critique David Thomson résume parfaitement la puissance du cinéma muet :

« Le cinéma muet atteint l’universel en effaçant les frontières linguistiques. Ce n’est pas une absence de paroles, mais une présence accrue des émotions. »

C’est effectivement ce que l’on ressent en tant que spectateur. Les personnages sont délestés de leurs masques sociaux, et expriment enfin leurs émotions au grand jour. Libéré des mots, le spectateur est encouragé à renouer avec ses sentiments. Et pour que nous ne soyons pas trop perdus, la musique et les thèmes familiers nous accompagnent dans ce périple.

Berger utilise des références universelles – le conte de Blanche-Neige, le cinéma muet et les clichés espagnols – pour explorer des thématiques singulières : la cruauté, le deuil, les apparences et nos rêves d’enfants.

L’Andalousie, personnage stéréotypé mais original

C’est afin d’explorer l’identité que Pablo Berger a choisi de faire de l’Andalousie, terre de clichés, un personnage.Comme il l’explique, elle devient une toile vivante et capricieuse :

« Je voulais que l’Andalousie devienne un personnage à part entière dans ce film, en capturant son essence, ses contradictions, et sa magie intemporelle. »

Berger sublime les traditions espagnoles tout en les confrontant aux enjeux de notre époque. Leur esthétique les met en lumière, tandis que l’histoire les remet en cause. Pour cela, il se sert de la corrida. Emblème controversé de l’Espagne, elle devient ici une métaphore des tensions entre tradition et modernité, entre beauté et cruauté. En effet, Carmen rêve de devenir ‘torera’, comme son père. Mais ce métier était alors réservé aux hommes. À l’image de ses compagnons les Nains, elle est perçue comme une curiosité et non comme une vraie artiste.

Carmen enfant s'entraîne pour la corrida.
La corrida comme transmission intergénérationnelle

Cette critique dépasse le contexte du film : elle questionne aussi notre société contemporaine. Les scènes de corrida, tournées avec de véritables taureaux, soulèvent des interrogations éthiques.

  • Ces images ont-elles encore leur place aujourd’hui, à une époque où le bien-être animal est au cœur des débats ?
  • Comment concilier traditions ancestrales et valeurs d’une société globalisée qui prône la bienveillance et la responsabilité ?
  • Le cinéma peut-il tout représenter, ou certaines images doivent-elles rester ancrées dans la réalité ?

Images, apparences et (faux)souvenirs: qu’est-ce que l’identité?

En misant sur une esthétique épurée – le noir et blanc, l’absence de dialogues – Berger interroge le pouvoir des images. À partir d’éléments visuels communs, il tisse une réflexion sur l’identité et notre rapport aux autres. Qui devient-on en enfilant son propre « costume de lumière » (traje de luces)?

Cette thématique se reflète également dans la narration. Comme le souligne Ted Hardy-Carnac, auteur et réalisateur, dans son blog Ted sifflera 3 fois :

« The show must go on. C’est une corrida dont on peut sortir paralysé ou empoisonné. C’est un appareil photo devant lequel il faut poser avec le mort pour figer une dernière fois des ersatz de sentiments. Et souriez surtout. C’est un article de journal pour lequel il faut paraître, toujours paraître. »

Dernière photo du toréador mort.
Dernière photo du toréador

Ces apparences n’impactent pas seulement le présent : elles façonnent nos souvenirs, qu’ils soient idéalisés ou traumatiques, et, finalement, elles définissent notre identité. Berger ne se contente donc pas d’explorer les apparences sur le moment présent. Il creuse encore pour savoir ce qu’elles laissent en nous. Pour cela, il questionne l’identité de la cruauté.

Loin d’être un conte de fée binaire, noir et blanc comme Blancanieves, l’enfance regorge de scènes traumatiques. Par exemple, lorsque Carmen assiste au décès de sa grand-mère, Berger rejoint la volonté infantile de capturer l’instant, sans envisager qu’il ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Cette scène m’a rappelé le refus de grandir. Le bonheur fugace de l’innocence déjà perdue. Finalement, n’est-ce pas cette cruauté qui ancre en nous les moments doux ? Appréciait-on vraiment notre enfance avant qu’elle ne soit finie ? Pourquoi rêvions-nous de ce que nous serions une fois adultes ? Comment expliquer cette urgence d’avancer, au risque d’oublier ce qui compte réellement ?

Carmen dansant avec sa grand-mère juste avant sa mort.
Les derniers instants de bonheur de Carmen

Berger utilise le cinéma pour figer des souvenirs imaginés, mais aussi pour questionner ce qu’ils disent de nous, loin de nos apparences.

Une lettre aux amoureux du passé

Tout au long du film, un sentiment subtil envahit le spectateur : la nostalgie. Blancanieves évoque un univers proche et familier, mais irrémédiablement perdu.

Pablo Berger décrit son œuvre comme :

« Une lettre d’amour au cinéma muet, une époque où les images parlaient plus fort que les mots. »

Blancanieves ravive une nostalgie douce-amère, celle d’une époque fantasmée (l’anémoia), d’un passé qui n’a jamais vraiment existé mais qui nous parle à tous profondément. C’est à nous de réfléchir à notre identité afin de la confronter à notre réalité moderne pleine de contradictions, et bien loin de nos contes de fées. Blancanieves nous tend un miroir : que reste-t-il de notre innocence, et que voudrions-nous ramener dans notre présent ?


A propos de Blancanieves :

Disponible en prêt et en consultation aux médiathèques Chalucet et Pont du Las.


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