Ce n’est pas la première fois que Zurich devient l’épicentre silencieux d’une révolution technologique. Le premier Congrès international de mathématiques (ICM) s’est tenu dans cette ville en 1897, jetant les bases des premiers langages logiques. Le 17 juin 2025, un autre basculement s’est joué en coulisses : trois chercheurs de pointe — Lucas Beyer, Alexander Kolesnikov et Xiaohua Zhai — ont quitté OpenAI pour Meta, emportant avec eux une partie de la colonne vertébrale du bureau zurichois de l’institut californien. Tous trois avaient déjà migré de Google DeepMind à OpenAI en novembre 2024. Ce nouveau mouvement ne relève plus du simple recrutement : il témoigne d’une guerre des intelligences.
Cette volte-face s’explique par une stratégie aussi limpide qu’implacable. En difficulté sur le terrain de la superintelligence artificielle, Meta, sous la houlette personnelle de Mark Zuckerberg depuis avril 2025, a décidé de frapper fort. Des offres salariales pouvant frôler les 100 millions de dollars ont été proposées à certains profils-clés. L’objectif ? Constituer une escouade d’élite pour rattraper son retard face aux leaders actuels de l’IA générative. Ce chassé-croisé entre Google, OpenAI et Meta, orchestré à coups d’enchères salariales et de promesses technologiques, révèle une tectonique des plaques intellectuelles sans précédent dans le domaine de la recherche privée.
La brutalité de ce revirement interroge sur la pérennité des pôles de recherche dans un environnement aussi instable. « Ce genre de transferts éclair désorganise tout l’écosystème de production scientifique », confie un ancien cadre de DeepMind resté anonyme. Quand les talents sont devenus aussi mobiles que les capitaux, que reste-t-il aux institutions pour construire dans la durée ? La captation des cerveaux n’est plus l’apanage des États-nations : ce sont désormais les multinationales, armées de milliards, qui façonnent l’architecture cognitive de demain. À ce jeu, Zurich se transforme en terrain neutre et disputé, au cœur d’un bras de fer entre Californie et Silicon Fen.
« Une ruée vers la superintelligence »
Qui peut croire encore à la neutralité helvétique quand les grandes puissances du numérique se livrent bataille à coup de millions sur son sol ? Que ferait un chercheur attaché à l’éthique dans une guerre où les convictions s’achètent à prix d’or ? À quoi riment les promesses de progrès partagé si elles reposent sur des mercenaires intellectuels ?
Quelques jours plus tôt, un analyste prédisait une “normalisation” des talents IA en Europe. Ces défections fulgurantes, au contraire, obscurcissent l’horizon au lieu de l’éclairer. Les esprits les plus brillants deviennent des pions sur un échiquier financier global, bien loin de toute boussole éthique ou scientifique.