Chapitre 5 – Le feu de La Garde

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Chapitre 1 – L’Attente
Chapitre 2 – Le Retour à la Basse Ville
Chapitre 3 – Ce que dissimule le sol
Chapitre 4 – L’ombre ne meurt jamais
Chapitre 5 – Le feu de La Garde
Chapitre 6 – Trois types biens
Chapitre 7 – Déconstructions

Delphine avait le regard fixe, comme si ses pupilles n’accrochaient plus la lumière. Un frisson lui grimpa le long de l’échine, pas un frisson de froid, mais un courant électrique, chargé d’adrénaline et de cette intuition primitive qui vous réveille en pleine nuit avec l’impression que tout va basculer. Elle ne pouvait pas rester là. Ne rien faire. Attendre, c’était mourir à petit feu.

Elle prit une décision. Une de celles qu’on ne prend pas à la légère. Elle allait retourner à l’appartement. Celui du rez-de-chaussée. Celui avec la porte blindée. Celui où elle avait cru mourir. Mais pas comme ça. Pas dans cet état.

Barbara, tu sais s’il reste des t-shirts promo laissés par les commerciaux ? J’ai besoin de me changer. Ma robe est foutue.

Barbara la regarda, plissa les yeux. Elle avait l’instinct de ceux qui sentent quand une amie vacille au bord d’un gouffre invisible.

Oui, dans la réserve. Y’a un sweat Orangina jaune fluo. Et un vieux bas de jogging de Monsieur Louis.

Delphine hocha la tête. Elle s’habilla comme on enfile une armure de fortune : sweat trop large, odeur d’entrepôt, jogging élimé. Elle attacha ses cheveux, serra les dents, et partit.

La rue de l’Équerre l’accueillit avec sa lumière oblique et ses ombres trop longues. Elle ralentit à peine. Elle sentait déjà les battements de son cœur cogner dans sa gorge. L’air semblait plus dense ici, comme gorgé de tension.

Puis elle vit les véhicules.

Deux, non, trois grands 4×4 bleus garés en épi devant son immeuble. Des moteurs tournants. Une radio grésillante. Et ce logo qu’elle reconnut immédiatement : Gendarmerie Maritime.

Elle ralentit, prit une inspiration et continua à marcher. Elle devait passer. Inaperçue. Fantôme parmi les vivants.

Une escouade de quatre gendarmes en combinaison tactique sortit de l’immeuble. L’un d’eux tenait une tablette. Il la montrait aux passants, demandait sans doute s’ils avaient vu quelque chose. Delphine vit l’écran, juste un instant, le temps que son cœur s’arrête une demi-seconde : c’était elle. Figée sur une photo de surveillance, prise à l’instant où elle pénétrait dans l’appartement du rez-de-chaussée.

Son sang se glaça.

Elle détourna le regard, continua son chemin sans broncher, sans accélérer. Surtout ne pas courir. Ne pas paniquer. Ne pas montrer qu’elle avait vu.

Une fois au coin de la rue, elle bifurqua, longea les façades, traversa en évitant un scooter, et remonta une ruelle parallèle. Puis elle courut. Comme une gamine qui a volé un bonbon dans un supermarché. Comme une femme traquée.

Elle arriva au tabac à bout de souffle. Le même tabac où, quelques heures plus tôt, elle avait cru retrouver un semblant de normalité. Barbara l’attendait derrière le comptoir, une clope à moitié consumée coincée entre deux doigts tremblants.

Delphine s’appuya contre le frigo à boissons, essuya son front et murmura, comme à elle-même :

Ils ont ma photo… Ils savent que je suis entrée…

Barbara ne comprit pas ces paroles, mais sut que quelque chose n’allait pas. Elle la regarda en silence. Un long silence. Puis elle posa doucement sa main sur l’épaule de Delphine.

Viens avec moi à BDM. On ne peut pas rester ici.

Delphine ne répondit pas. Elle n’en avait pas la force. Son corps voulait fuir. Son esprit criait qu’elle devait comprendre.

Elle hocha simplement la tête.


Le trajet vers BDM débuta dans un calme relatif, rythmé par le ronronnement du moteur de la vieille Citroën de Barbara et le cliquetis discret des clignotants oubliés. Après un crochet rapide par Saint-Jean-du-Var, où Barbara insista pour que Delphine se change — un jean ajusté et un haut noir à col bateau, propre et sobre — les deux femmes prirent la route comme on cherche l’air frais après un incendie intérieur.

Barbara parlait. Beaucoup. Trop peut-être. Mais c’était sa façon à elle de crever le silence, ce silence dense et gluant qui collait à Delphine depuis plusieurs heures. Delphine regardait par la vitre, les rues défilaient comme des souvenirs trop vifs. Elle finit par lâcher :

Tu sors souvent ?

Barbara sourit, ses mains détendues sur le volant malgré les coups de frein et les priorités hasardeuses de la circulation varoise.

Le plus souvent possible. On n’a qu’une vie, non ?

Et ta fille ? Elle reste avec ton mari ?

Barbara éclata de rire, un vrai rire, franc et sonore qui emplit l’habitacle.

Un, mon mari travaille. Deux, j’ai deux filles. Et trois, ce sont mes parents qui les gardent. Le vendredi soir, c’est sacré. C’est leur truc. Ma grande a même sorti un jour : “Un week-end qui ne commence pas chez papi et mamie, c’est pas un week-end.” J’ai découvert plus tard qu’elle avait pompé ça dans une émission de télé-réalité. Pas peu fière, la gamine.

Delphine ferma les yeux un instant, soupira.

Désolée. Je suis crevée. Et en ce moment, il m’arrive… plein de trucs bizarres.

Barbara ne se moqua pas. Sa voix se fit douce, presque maternelle.

T’inquiète. On se connaît pas depuis longtemps. Ce soir, on va apprendre.

Puis la voiture ralentit. Un des innombrables feux de chantier de La Garde, posés là comme des obstacles absurdes dans une ville en perpétuelle opération chirurgicale. Le clignotant rouge clignota lentement. Devant, une file de véhicules, figés, comme suspendus dans une attente sans nom.

Delphine fixait la route, les épaules raides. Et c’est là qu’elle la vit.

Une ombre.

D’abord indistincte, juste une forme plus sombre que la nuit elle-même, remontant le long du bord de la route, entre les voitures arrêtées et les glissières de sécurité. On aurait dit un chien errant. Mais il y avait quelque chose de trop fluide dans sa démarche. Trop déterminé. Trop… conscient.

Delphine fronça les sourcils, son cœur accéléra. L’ombre approchait. À une vingtaine de mètres, elle sembla se redresser. Se dresser sur deux jambes.

Delphine cligna des yeux. Non. Ce n’était pas possible.

La chose — car ça n’était plus un animal — avançait. Un corps velu, un museau de loup. Mais debout, droit comme un homme, avec ce regard… ce regard vert incandescent, fixe, transperçant.

Et puis ce fut la panique. Elle hurla. Un cri aigu, dissonant, animal. Un cri qui se mêla aux klaxons furieux des voitures autour. Le cœur au bord de la rupture, elle se recroquevilla contre la portière, la respiration coupée.

Delphine ! Eh, Delphine ! Réveille-toi !

Elle rouvrit les yeux. Barbara venait de klaxonner. Le feu venait de passer à l’orange clignotant. La voiture devant ne bougeait pas, son conducteur toujours vissé à son téléphone, ignorant le monde.

Putain, t’as crié comme si on se faisait carjacker !, lâcha Barbara en rigolant à moitié. Tu t’es endormie, meuf. T’as fait un cauchemar ?

Delphine mit plusieurs secondes à revenir à la réalité. Elle porta une main à sa poitrine. Son cœur tapait encore, sourdement. La sueur coulait de sa nuque jusqu’à ses omoplates.

Elle acquiesça, sans un mot. Oui. Un cauchemar.

Mais elle savait. Ce qu’elle avait vu, ce n’était pas juste un rêve.

C’était un rappel. Une menace. Une promesse.

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