Sailor et Lula : Un conte de fées moderne

Et si un conte de fées ne racontait pas l’histoire de princes et de princesses, mais celle de deux amants en fuite, oscillant entre violence et passion ? Dans Sailor et Lula (1990), David Lynch revisite ce mythe en le transposant dans une odyssée pop, excessive et tragique.

Sailor et Lula (Wild at heart), 1990, David Lynch
Sailor et Lula (Wild at Heart, 1990)

Des archétypes revisités

Les héros de Sailor et Lula évoquent plus Danny et Sandy de Grease que Cendrillon et son prince charmant. Loin d’être purs et innocents, ils portent en eux une violence et une sensualité qui les éloignent des récits féeriques classiques. Pourtant, leur trajectoire s’inscrit dans un imaginaire de conte de fées, notamment à travers les références explicites au Magicien d’Oz. La route qu’ils empruntent est celle de la quête du bonheur, mais comme chez Lynch, elle est pavée d’épreuves cruelles et d’obstacles aux contours parfois absurdes.

Pour atteindre ce rêve d’un avenir commun, ils doivent se défaire des illusions enfantines. Sailor n’a rien d’un prince sur son cheval blanc, mais il refuse la lâcheté et assume ses actes, à défaut d’être un héros irréprochable. Quant à Lula, son combat est plus intérieur : elle doit affronter l’ombre oppressante de sa mère, Marietta.

Dans les contes traditionnels, l’antagoniste féminin est souvent une belle-mère malveillante ou une sorcière. Ici, le cinéaste brouille les repères : Marietta est bien une mère, aimante en apparence, mais dont l’amour se révèle toxique. Son influence ne passe pas par la magie, mais par la manipulation et le contrôle. Elle incarne un passé étouffant, un héritage dont Lula doit s’affranchir pour s’épanouir. Grandir, c’est comprendre que les monstres ne portent pas toujours de capes noires et que l’opposition au bonheur ne vient pas toujours d’un ennemi extérieur, mais parfois d’un cercle plus intime.

Marietta, la mère de Lula
Marietta (Diane Ladd), une sorcière moderne

Le mal dans le monde adulte

Lynch nous invite ainsi à suivre le parcours initiatique de Sailor et Lula, mais en le vidant des schémas confortables du conte classique. Là où les histoires traditionnelles opposent le bien et le mal de façon tranchée, il brouille les repères et fait éclater la notion de morale absolue.

Le chemin de ses personnages n’est pas celui d’une transformation spectaculaire, mais plutôt d’une errance marquée par des illusions et des répétitions. Le cinéaste nous confronte à une réalité où l’apprentissage n’apporte pas toujours de résolution et où les héros n’évoluent pas nécessairement vers une forme d’idéal. À travers eux, il nous invite à déconstruire nos attentes narratives et à interroger la véritable fonction des contes de fées.

Sailor et Lula au bord de la route vers le bonheur
Pas de transformation au bout du chemin, mais un beau chemin

Des contes pas si féeriques

L’histoire d’amour entre Sailor et Lula a beau être excessive, elle nous fascine. Si Lynch est un maître de l’esthétique cinématographique et si les romances criminelles à la Bonnie and Clyde ont leur propre charme, leur couple nous captive pour une autre raison : il nous semble possible.

Leur coup de foudre n’intervient pas au moment idéal et ne résout aucun de leurs problèmes. Au contraire, il marque le début d’un enchaînement de péripéties et de fuites en avant. C’est cette brutalité, ce réalisme dans l’imprévu, qui rend leur relation si puissante. Loin du cliché des tourtereaux purs et innocents, leur quête de vérité et de liberté est ce qui les soude.

Aujourd’hui, les contes de fées sont de plus en plus critiqués pour l’image qu’ils véhiculent : une princesse passive, pure, attendant d’être délivrée par un héros intrépide qui la reçoit comme récompense. Sailor et Lula s’affranchit totalement de ces rôles figés. Ici, pas de passivité ni de rétribution : les deux amants luttent activement pour exister ensemble, malgré les obstacles. Leurs épreuves sont bien réelles, et leurs antagonistes ne sont pas de simples figures diaboliques, mais des incarnations du chaos du monde adulte. Le psychanalyste Bruno Bettelheim écrivait : « L’enfant s’identifie au héros du conte, qui rencontre des épreuves et finit par s’en sortir. C’est une manière de se préparer aux difficultés du monde réel. ». Le réalisateur, lui, semble appliquer cette idée à l’âge adulte.

Réveiller les adultes

Le cinéaste Nicolas Roeg, grandement influencé par Lynch, déclarait : « Les contes de fées ne sont pas faits pour endormir les enfants, mais pour réveiller les adultes. »

C’est peut-être là l’essence de Sailor et Lula. Grandir ne signifie pas rejeter les contes, mais apprendre à dépasser le manichéisme qu’ils véhiculent tout en conservant ce qu’ils nous enseignent : la résilience, la quête de sens et la force des liens humains. David Lynch ne déconstruit pas le conte : il le rend adulte, brutal et libre.

Love me tender

A propos de Sailor et Lula :

Déconseillé aux moins de 12 ans.

Disponible à l’achat et en prêt sur YouTube.

Le documentaire Arte Il était une fois…, disponible jusqu’au 17/07/2025.


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