L’histoire ne manque pas de clins d’œil gourmands à la monarchie du commerce britannique. Mais ce rappel s’impose : en juin 2025, Marks & Spencer, l’enseigne centenaire qui incarne depuis les années 1920 l’art du sandwich “so British”, a choisi de revisiter un symbole national en pleine quinzaine de Wimbledon. Le 21 juin, l’enseigne a lancé une édition limitée : le Red Diamond Strawberry & Cream Sandwich, un dessert hybride entre sucrerie nippone et patrimoine culinaire anglais. Une proposition qui, à première vue, semble aussi légère qu’une brise d’été, mais qui dit pourtant beaucoup du monde que nous construisons.
Cette volte-face s’explique par une convergence savamment orchestrée entre tradition marketing, influence culinaire internationale et soif de viralité. Le sandwich en question, inspiré des « sweet sandos » japonais, réinvente la fraise à la crème – totem sucré du tournoi de Wimbledon – sous une forme inattendue : pain de mie blanc, crème fouettée légère, et fraises Red Diamond™ cueillies au summum de leur maturité. Proposé à £2.80 (ou £2.90 à Londres), il fait le pont entre innovation produit et nostalgie collective. Dans l’arène concurrentielle de l’agroalimentaire britannique, cette création incarne un nouveau terrain de jeu : celui des desserts de poche, consommables debout, postables en ligne, et porteurs de souvenirs d’enfance réinventés.
La brutalité de ce revirement interroge sur le devenir de l’alimentation quotidienne. « C’est notre premier sandwich-dessert, et ce ne sera pas le dernier », confiait sans détour un porte-parole de M&S à The Grocer. Mais à force de croiser les genres – en mariant l’iconique à l’éphémère, le local au global – que reste-t-il de l’identité culinaire ? Cette innovation n’est-elle pas le symptôme d’une époque qui, incapable de choisir entre racines et renouveau, préfère la confusion à la clarté ? La mutation est stratégique, certes, mais elle esquisse aussi un glissement culturel, où le goût se plie aux lois du marketing instantané.
« Une gourmandise stratégique »
Qui peut croire que ce simple en-cas ne soit qu’un caprice saisonnier ? Que ferait Churchill face à un sandwich-fraise vendu en grande surface comme un manifeste sucré ? Que reste-t-il du goût quand celui-ci devient image, et de l’image quand elle est digérée par l’algorithme ? Les stratèges de Marks & Spencer misent sur une fidélisation émotionnelle à travers des produits-événements, mais à quel prix pour notre mémoire gustative collective ?
Quelques jours plus tôt, c’était le croissant “carbonara” qui envahissait les réseaux, brouillant un peu plus les lignes de notre imaginaire alimentaire. Ce que certains appellent audace ressemble de plus en plus à une fuite en avant : une course à la visibilité où les traditions, trop lentes, sont laissées sur le bas-côté. Ces fulgurances commerciales, si séduisantes soient-elles, obscurcissent l’horizon au lieu de l’éclairer.