Moonrise Kingdom : l’enfance en fuite

Pour clôturer ce mois autour de Wes Anderson, intéressons-nous à une œuvre singulière, poétique et profondément humaine : Moonrise Kingdom (2012). Un film aux allures de conte pastel, à la fois drôle, absurde et bouleversant, qui ravira toute la famille.

Dans les années 60, Sam Shakusky (Jared Gilman), jeune orphelin rejeté par sa troupe de scouts, ne trouve pas sa place dans un monde trop normé. Un jour, il rencontre Suzy Bishop (Kara Hayward), adolescente mélancolique vivant avec ses parents dans un phare. Ensemble, ils décident de s’enfuir, portés par l’envie de vivre une aventure loin des regards qui les jugent.

Moonrise Kingdom, Wes Anderson (2012)

Une romance absurde et touchante

Si certaines scènes rappellent Pierrot le Fou, notamment dans cette idée d’évasion à deux contre le monde, le récit reste beaucoup plus accessible. Son charme réside justement dans ce mélange rare de simplicité et de poésie, qui parle à tous les âges. Sam commente à Suzy : « Ça ressemble à de la poésie. Les poèmes n’ont pas toujours besoin de rimes, tu sais. Ils doivent juste être créatifs. »

Il résume involontairement l’essence même du film : une liberté formelle, une créativité sincère. Quelques minutes plus tard, un échange d’une pureté désarmante illustre la maladresse tendre de leur amour :

Sam : « Je t’aime, mais tu ne sais pas vraiment ce que tu dis. »
Suzy : « Moi aussi je t’aime. »

Leur relation, aussi naïve qu’intense, ne cherche jamais à singer l’amour adulte : elle en propose une version brute, libre de toute stratégie.

Sam et Suzy sur la plage
Peu importe la forme tant qu’il y a de la poésie

Une critique douce du monde adulte

Sam et Suzy sont rejetés parce qu’ils refusent de se conformer. Ils ne rentrent dans aucune case : trop rêveurs, trop francs, trop étranges. Le monde adulte les observe comme des anomalies. Mais au fil du récit, ce sont les adultes eux-mêmes qui apparaissent perdus, prisonniers de rôles qu’ils n’ont pas choisis.

La hiérarchie s’inverse : ce sont les enfants qui agissent avec courage et clarté. Ils refusent les normes sans faire de bruit, en suivant leurs désirs. Le film nous tend alors un miroir doux-amer : et si ceux que l’on juge comme « hors normes » étaient justement les plus lucides ?

Choisir sa vie : une lecture aldérienne

Ce film a fait raisonner en moi la psychologie d’Alfred Adler, popularisée par le best-seller Le courage de ne pas être aimé. Contrairement à Freud, Adler rejette l’idée de déterminisme. Pour lui, ce n’est pas notre passé qui nous définit, mais les choix que nous faisons chaque jour.

Sam et Suzy incarnent cette idée. Ils ne fuient pas parce qu’ils sont brisés, mais parce qu’ils décident de s’inventer un monde. Leur marginalité n’est pas une faiblesse, mais un positionnement. Ils choisissent de ne pas entrer dans une société qui les rejette, et c’est précisément cela qui les rend libres.

Cette approche soutient aussi que la norme n’existe pas : chaque individu a sa propre échelle, ses propres repères. Deux personnes confrontées à la même situation n’en tireront jamais les mêmes conséquences. Dans Moonrise Kingdom, il ne s’agit pas de réparer des enfants « défectueux », mais de regarder autrement ceux qui refusent de se conformer.

L’esthétique de l’enfance

Couleurs vives, costumes rétro, mise en scène millimétrée : l’univers visuel du film évoque une enfance fantasmée, presque figée dans le temps. La musique de Benjamin Britten ou d’Alexandre Desplat accentue cette sensation de cocon fragile, entre mélancolie et émerveillement.

Suzy, jumelles autour du cou, confie : « Ça m’aide à voir les choses de plus près. Même si elles ne sont pas très loin. J’imagine que c’est mon pouvoir magique. »

Une phrase simple, mais qui dit tout de la solitude enfantine, et de cette capacité à rendre le monde supportable grâce à l’imaginaire.

Suzy et ses jumelles
« Ça m’aide à voir les choses de plus près. Même si elles ne sont pas très loin. J’imagine que c’est mon pouvoir magique.« 

L’amour comme acte de résistance

Malgré l’absence d’amour dans leur entourage, Sam et Suzy ne renoncent pas à aimer. Leur tendresse est ce qui leur permet de reconstruire, de renommer le monde : une crique jusque-là désignée par un numéro devient Moonrise Kingdom, leur royaume à eux.

Là où les adultes s’enlisent dans des justifications, des convenances et des non-dits, les enfants vivent l’instant présent. Ils aiment parce qu’ils en ont envie. Parce que le monde est plus beau à deux. Ils n’attendent pas d’être compris, ils se choisissent, simplement. « On est amoureux. On veut juste être ensemble. Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? »

Sam et Suzy sortant d'une église
L’amour vécu à l’instant présent

Une échapée belle

Moonrise Kingdom reprend les thématiques de Rushmore — solitude, marginalité, quête de sens — mais dans une forme plus lumineuse, plus universelle. Derrière sa douceur apparente, il s’agit d’un véritable manifeste pour l’imaginaire, la sensibilité et la liberté.

Il nous rappelle que l’enfance n’est pas qu’un âge : c’est aussi une manière de voir le monde. Et que parfois, fuir la norme est le premier pas vers soi-même.


A propos de Moonrise Kingdom :

Disponible en prêt aux médiathèques de Chalucet, Lagoubran, Pont-du-Las, ou sur Amazon Prime Vidéo.


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