Chapitre 9 — Les eaux troubles de Saint-Mandrier

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Chapitre 1 – L’Attente
Chapitre 2 – Le Retour à la Basse Ville
Chapitre 3 – Ce que dissimule le sol
Chapitre 4 – L’ombre ne meurt jamais
Chapitre 5 – Le feu de La Garde
Chapitre 6 – Trois types biens
Chapitre 7 – Déconstructions
Chapitre 8 — L’envers du décor
Chapitre 9 — Les eaux troubles de Saint-Mandrier

Delphine referma la porte de son appartement dans un silence anormal. Même les gonds semblaient vouloir coopérer à l’opération clandestine dont elle était devenue, contre son gré, l’agente principale.
Son cœur battait plus vite que de raison, mais son visage était impassible. Oriol le lui avait bien dit : « La peur, c’est comme une lame sous la gorge. Soit tu recules, soit tu apprends à respirer sans bouger. » Elle respirait donc. Lente. Maîtrisée.

Avant de la laisser partir, Oriol lui avait tendu la petite boîte noire qu’il lui avait glissée au BDM quelques jours plus tôt. Une sorte de boîtier discret, sans inscription. En l’ouvrant, elle avait découvert un simple objet en plastique, de la taille d’une étiquette de vêtement. Ça aurait pu passer pour un antivol mal découpé d’un sweat bon marché.

Mais ce n’était pas un antivol.

C’est un traceur passif, lui avait expliqué Oriol. Un vieux modèle de la DGSI. Pas de pile, pas de puce GPS. Juste une fréquence unique. Il ne fonctionne que quand on le cherche. On le “pingue” comme une cloche sous-marine. Invisible pour ceux qui ne savent pas ce qu’ils cherchent.

Il avait ensuite posé sur la table une paire de chemises, une veste en jean usée, et un sweat noir à capuche. Des vêtements récupérés dans la salle de fouille. Ceux de Mathieu.

Trouvez celui qu’il porte régulièrement. Et cousez ça à l’intérieur. Vous ne devez en parler à personne. Même pas à votre reflet dans le miroir.

Elle savait exactement lequel choisir. Un vieux pull kaki qu’il portait dès que la température tombait sous 18 degrés. Le genre de vêtement fétiche qu’on garde toujours à portée de main.

Il était là. Jeté sur le fauteuil. Son odeur était encore présente, acide, sucrée, presque rance. Comme une signature.

Delphine prit une paire de ciseaux, découpa une légère ouverture dans la couture intérieure du col, et y glissa le traceur. L’étiquette disparut sans bruit, engloutie par le tissu.

Elle recousit méticuleusement. Point par point. Son père lui avait appris à coudre quand elle était petite. Elle avait oublié pourquoi. Elle se souvenait juste que c’était utile. Ce soir, ça l’était.

Quand elle eut terminé, elle reposa le pull à sa place exacte. Rien ne devait paraître déplacé.

Puis elle fit le tour de l’appartement comme un agent de nettoyage : pas une trace de couture, pas un fil sur la table. Elle jeta les restes dans un sachet plastique qu’elle mit au congélateur — une habitude qu’elle avait vue dans un film de contre-espionnage. On n’était jamais trop prudent.

Elle se planta devant la fenêtre. Dehors, la rue paraissait calme. La nuit tombait sur Toulon, enveloppant la ville dans un voile moite et bruyant. Un scooter passa. Une femme cria quelque part dans une cuisine. Une télévision éructait des infos à demi-mots.

Et dans l’ombre, un réseau la suivait maintenant à la trace.

Elle venait d’entrer, sans le vouloir, dans un monde dont on ne sortait jamais vraiment.

Au fond de son sac, son téléphone vibra.

SMS – Expéditeur inconnu :
“Traceur activé. Restez disponible. – JRO”

Delphine verrouilla son portable. Elle s’assit sur le canapé, les bras croisés. Une pensée, involontaire, s’insinua comme un poison :
Et si tout ça n’était qu’un immense mensonge ? Et si Oriol la manipulait, lui aussi ?

Mais la paranoïa ne devait pas gagner. Pas maintenant.

Elle attrapa son carnet, griffonna une phrase. Une habitude ancienne, héritée de ses années de doute. Une forme d’exorcisme.

“La vérité ne se lit pas dans les mots. Elle se traque dans les silences.”


Le ferry tanguait mollement sur les eaux paisibles de la rade de Toulon. La lumière rasante du soir étirait les ombres sur le pont, et les mouettes volaient bas. Delphine, debout à l’arrière du bateau, tenait fermement une valise noire à roulettes et un sac de sport élimé. Dans ce sac, soigneusement plié, reposait le vieux pull kaki.

Elle avait attendu ce moment avec une anxiété croissante : le retour de Mathieu de sa mission à l’École navale de Saint-Mandrier. Officiellement, il y avait passé dix jours pour encadrer un stage d’entraînement opérationnel. Officieusement… Elle n’était plus sûre de rien.

Elle regardait la mer. La surface calme cachait toujours quelque chose, se disait-elle. Toujours.

« Bonjour, contrôle des titres de transport, s’il vous plaît. »

Delphine se retourna. Un homme en uniforme bleu marine s’approchait. Il portait un blouson de la police municipale de Toulon. Le visage ouvert, la cinquantaine sèche, les cheveux gris taillés en brosse. Il sortit un appareil électronique, mais son regard ne le quittait pas.

Elle tendit machinalement son ticket. Il le scanna d’un geste lent, presque cérémoniel.

« Merci, tout est en ordre. »

Il se pencha légèrement, baissa la voix.

« Bonne mission. »

Delphine fronça les sourcils. Le policier leva les mains comme pour apaiser un malentendu.

« Vous n’êtes pas seule, mademoiselle. On veille. Oriol ne laisse jamais ses pions sans couverture. »

Elle eut un frisson, à mi-chemin entre la stupeur et la colère. Mais l’homme s’était déjà redressé. Il jeta un œil à l’horizon, vers la presqu’île.

« On approche. Si vous avez un problème, même un détail, passez au poste de la police municipale à l’arrivée. et demandez le capitaine Jouve, Thierry Jouve »

Il tourna les talons sans ajouter un mot, laissant Delphine seule avec ses doutes.

La silhouette massive de Saint-Mandrier se dessinait à présent devant eux. L’ancien fort militaire reconverti en centre d’instruction donnait à la presqu’île un air de sentinelle éternelle. Sur le quai, quelques militaires en permission attendaient, sacs à l’épaule. L’odeur de la mer, mêlée à celle du fuel et des pinèdes, montait par vagues.

À l’accostage, le policier municipal descendit sans se retourner et se dirigea directement vers le petit bâtiment gris où flottait un drapeau français : le poste de la police municipale.

Delphine hésita une seconde, puis rejoignit la file des passagers. La valise roula en cadence, les graviers crissaient sous ses pas. Son téléphone vibra.

SMS — Mathieu :
“Je t’attends devant la buvette du club nautique. Hâte de te voir ❤️”

Elle leva les yeux. Là-bas, près du mât aux drapeaux, un homme en treillis kaki, bras en écharpe, agita la main.

Mathieu souriait. Un sourire parfait. Un sourire qui avait su la convaincre autrefois. Elle s’efforça de lui rendre le sien. Mais quelque chose, depuis le fond de son estomac, remontait doucement : une impression que tout ça — les retrouvailles, le décor militaire, l’uniforme — n’était qu’une mise en scène.

Dans son sac, le pull kaki pesait comme une bombe silencieuse.

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