L’histoire ne manque pas de prisonniers d’opinion devenus symboles d’une époque troublée. De Sakharov à Liu Xiaobo, ces figures cristallisent souvent bien plus que leur propre sort : elles incarnent la tension, l’impasse, l’aveuglement. Ce rappel s’impose alors que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 80 ans, doit comparaître ce 24 juin 2025 devant la cour d’appel d’Alger. Condamné en mars à cinq ans de prison pour des propos jugés attentatoires à l’unité nationale, il est devenu, en quelques mois, le pivot silencieux d’une crise diplomatique majeure entre la France et l’Algérie.
Cette volte-face s’explique par une accumulation de ressentiments anciens et de crispations récentes. Depuis l’arrestation de Sansal à l’aéroport d’Alger en novembre 2024, les relations bilatérales se sont figées dans une spirale de méfiance et de sanctions symboliques. L’auteur a été accusé de « propos outranciers » dans un média d’extrême droite français, à propos du Sahara occidental — sujet ultrasensible pour Alger. En réaction, le pouvoir algérien a durci sa position, réclamant jusqu’à dix ans de prison en appel, comme pour mieux marquer sa souveraineté face aux pressions françaises, tandis que Paris dénonçait une « parodie de justice » et réclamait un « geste humanitaire ». Derrière l’affaire judiciaire, ce sont deux visions de la souveraineté, de la mémoire et de la parole publique qui s’entrechoquent dans un climat de défiance.
La brutalité de ce revirement interroge sur la capacité des deux États à sortir de l’impasse sans perdre la face. « Il n’y a pas de justice sans indépendance, ni de diplomatie sans confiance », confiait récemment un diplomate français sous couvert d’anonymat. Pourtant, tout semble figé : les diplomates ont été rappelés, les projets de coopération gelés, et les voies de communication officielles sont réduites au strict minimum. L’enjeu dépasse le simple sort d’un écrivain malade : il pose la question de l’avenir du dialogue franco-algérien, au moment où d’autres dossiers – visas, mémoire coloniale, influence régionale – attisent déjà les rancœurs.
« Un procès de trop »
Qui peut croire que l’incarcération d’un homme de lettres puisse, à elle seule, protéger l’unité d’un pays ? Que ferait une libération expéditive, si elle devait être perçue comme une reddition diplomatique ? Et que restera-t-il, demain, de la parole politique française, si ses appels humanitaires n’étaient suivis d’aucun effet ? L’affaire Sansal, en somme, révèle l’extrême fragilité d’un équilibre déjà précaire, miné par les postures et les rancunes.
Quelques jours plus tôt, un proche du président algérien évoquait une « solution calibrée » pour préserver l’image d’un pouvoir intransigeant tout en facilitant une sortie de crise. Mais les symboles, eux, ne se calibrent pas : ils s’imposent. Et quand ils deviennent des otages, ce ne sont pas les relations bilatérales qu’ils obscurcissent — c’est l’horizon commun, celui d’un dialogue possible, qui s’assombrit durablement. Source 1 Source 2