There Will Be Blood : la fin de l’Ouest sauvage

There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson ne raconte pas l’Ouest sauvage : il raconte sa fin, brutale, brûlante, irréversible.

Reprenant certains codes du western, il raconte l’histoire du pétrolier Daniel Plainview (interprété par Daniel Day-Lewis) et de son fils, partis dans une petite ville de Californie à la recherche d’or noir.

There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson (2007). Avec Daniel Day-Lewis.
There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson (2007)

Un western dénaturé, sans terres sauvages

Dès les premières images du film, situées sous terre, Anderson donne le ton. Fini les grands espaces et le sentiment de liberté insufflé par les terres vierges à conquérir. Désormais, c’est l’exploitation totale, jusqu’à la moelle de la terre. Il ne s’agit plus de repousser une frontière ou de coloniser de nouveaux territoires, mais d’en extraire toutes les ressources possibles.

Comme dans d’autres westerns, Daniel voyage. Mais il ne traverse plus des terres anonymes comme ses prédécesseurs : il parcourt des terrains qui lui appartiennent. L’évolution des plans panoramiques va dans ce sens : si, au début, les infrastructures humaines semblent dérisoires face aux canyons et massifs naturels, la tendance s’inverse rapidement. Le critique de cinéma David Fonseca a écrit : « There Will Be Blood montre que, aussi profonde, aussi humaine, aussi spirituelle soit-elle, l’Amérique sera toujours en retard sur son rêve. Que la nature véritable de l’Amérique, c’est donc de ne pas en avoir, c’est-à-dire encore d’avoir toujours été désenchantée. » (Le Rayon Vert, 14 janvier 2021).

Daniel et son équipe forant à la recherche de pétrole.
Puiser les ressources les plus profondes

Daniel Plainview, le nouvel Icare capitaliste

Alors que les chercheurs d’or envahissaient autrefois les plaines du Montana, c’est aujourd’hui un nouvel or qui est traqué : le pétrole. Son exploitation de masse déforme inévitablement les paysages. Le héros de ce nouveau western n’est donc plus un amoureux de la nature, mais un homme fasciné par ce qu’elle peut lui offrir. Comme Icare s’approchant trop près du soleil, il paiera le prix fort pour ses méfaits.

Dans une scène magistrale d’incendie — motif récurrent du film — il signe l’échec de son rêve d’enfant. Sa propre ambition le consume. Loin de répandre la paix et l’ordre sur son passage comme il le prétend lui-même, il sème la destruction. Derrière ses promesses de pionnier se cache un discours capitaliste, qui propage le désir et la concurrence. Dans un quasi-monologue final sur le forage pétrolier, il révèle sa véritable foi : un capitalisme sans limites ni éthique.

Daniel admirant la puissance de sa richesse.
Un Icare moderne, rongé par l’ambition

Opposé en tous points aux héros cow-boys traditionnels, Daniel incarne le nouveau visage de l’Amérique moderne, où la réussite économique prime sur tout le reste.

Une musique dissonante

Comme dans les westerns classiques, la musique joue un rôle crucial. Elle devient ici essentielle pour exprimer ce que les images seules ne peuvent dire. Jonny Greenwood à déclaré dans une interview : « Je voulais écrire quelque chose de troublant, qui évoque une tension sourde, un danger souterrain. »

Récompensé pour sa contribution artistique au Festival de Berlin en 2008, il utilise la dissonance comme un amplificateur émotionnel. Le caractère surréaliste de sa musique, souvent en décalage avec ce que l’on attendrait, produit un sentiment de dérèglement. Si les plaines sont déchirées, si l’Ouest n’est plus sauvage, si les cow-boys sont aveuglés par leurs intérêts… Que reste-t-il de la nation des westerns ?

Apocalypse et western tragique

Si Anderson reprend certains motifs du western, il les tord et les dérègle pour mieux révéler la descente vers la folie d’une nation fondée sur l’exploitation. À travers une musique dissonante, un anti-héros rongé par l’ambition et des paysages mutilés, l’Ouest a définitivement changé de visage.

Paul Thomas Anderson confiait :

« Au niveau de la production, j’ai considéré There Will Be Blood comme une sorte de film de science-fiction. Le monde qu’on y dépeint – avec ses derricks de fortune crachant des flammes dans le ciel californien – avait quelque chose de bizarre, d’étranger. »

La dernière réplique du film fait tomber le rideau. Après une course folle vers le progrès, Daniel n’est plus adapté. There Will Be Blood n’est pas un adieu à l’Ouest : c’est l’enterrement d’une ère, en grande pompe, sur fond de pétrole et de folie.

Daniel Plainview et son fils.
Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis), et son fils (Dillon Freasier)

A propos de There Will Be Blood :

Disponible en prêt à la médiathèque du Pont Du Las.


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