La fin.
La voiture suspendue dans le vide, les cheveux qui volent, les mains qui se serrent. Et puis le saut.
On pourrait croire à une fuite. Mais c’est tout le contraire : c’est un refus. Un dernier éclat de liberté dans un monde qui ne leur en laissait aucune.
Thelma et Louise n’avaient rien de révolutionnaires. Juste deux femmes comme tant d’autres. Fatiguées. À bout. Et puis un soir, tout bascule.

On ne nous croira jamais
Une tentative de viol. Un coup de feu. Et déjà, elles savent : ce n’est pas la vérité qui comptera, mais ce que les gens voudront bien croire.
Louise le dit sans détour : « Tu l’as dragué. Tu as dansé avec lui. » Ce n’est pas un reproche, c’est un constat. Elle connaît les règles du jeu, celles qui condamnent les femmes à devoir sans cesse prouver qu’elles n’avaient « rien fait pour ».
Ce n’est pas seulement Thelma qui risque gros. C’est toute femme qui ose dire non, riposter, parler trop fort, trop tard, ou trop tôt.
Difficile, en voyant cette scène, de ne pas penser au film Les Accusés — avec Jodie Foster. Là aussi, c’est la victime que l’on dissèque, que l’on scrute, que l’on questionne. Ce qu’elle portait, ce qu’elle buvait, comment elle bougeait. Le viol devient presque secondaire ; ce qui importe, c’est de savoir si elle « l’a cherché ».
Alors, quand Thelma et Louise prennent la route, ce n’est pas la justice qu’elles fuient. C’est l’injustice.

Blessures croisées
Au début, Louise semble être celle qui protège. Elle prend les décisions, gère l’itinéraire, pense à tout. Mais plus on avance, plus on devine les failles. Elle aussi traîne un poids. Un non-dit. Quelque chose de vécu qu’elle ne nomme jamais, mais qui structure chacune de ses réactions.
À l’inverse, Thelma part de loin. Candide, presque naïve, elle découvre le monde en même temps que la violence qui s’y niche. Mais elle se réveille. Ose. Se libère.
Et à un moment, on ne sait plus qui protège qui. Elles avancent ensemble, chacune tenant l’autre debout. Comme le dit Callie Khouri, la scénariste : « Ce n’est pas un film sur deux femmes qui deviennent des criminelles. C’est l’histoire de deux femmes qui deviennent enfin elles-mêmes. »

Reprendre la route, réécrire les règles
Thelma & Louise n’est pas un film « contre les hommes », ce serait trop simple.
C’est un film contre les systèmes qui étouffent, contre les récits préécrits, contre les injonctions qui enferment.
Et il le fait sans voyeurisme. Pas de flash-back. Pas de viol mis en scène. Juste le poids du silence, et ce qu’il impose. Comme l’écrit Héloïse Van Appelghem :« […] le montrer en flash-back, ce serait initéréssant. Il y a vraiment le poids des violences qui a dessiné leur caractère et qui a contaminé leur vie. Le trauma influence leur trajectoire. »
Ce que le film célèbre, ce n’est pas la vengeance. C’est la possibilité d’une autre trajectoire. Prendre le volant, au sens propre comme au figuré. Devenir l’autrice de sa propre histoire. Et refuser le retour à l’ordre.

Et maintenant?
Certains films marquent parce qu’ils choquent. D’autres parce qu’ils permettent de formuler enfin ce qu’on avait toujours ressenti.
Thelma & Louise, c’est ça. Une main tendue à toutes celles qui ont, un jour, voulu dire : « Et si je n’acceptais plus ? »
Et c’est pour ça qu’il dérange. Parce qu’il ne propose pas une fin réconciliatrice. Pas de morale, pas de retour à la normale. Juste un choix : ne plus rentrer dans le cadre.
En sortant du film, je repensais à Désirer la violence, de Chloé Thibaud. Ce qu’elle écrit sur la pop-culture qui nous apprend à aimer les dominants, à admirer ceux qui blessent, résonne ici.
Et peut-être que notre rôle aujourd’hui, c’est de relayer d’autres récits. De faire entendre d’autres voix.
Pourquoi ne pas commencer par celle-ci ?

A propos de Thelma et Louise :
Disponible en prêt aux médiathèques Chalucet et Pont-du-Las.