Une Journée de Protestation pour de Meilleures Conditions
Les livreurs indépendants des plateformes de livraison comme Uber Eats, Deliveroo et Stuart se sont mobilisés ce mardi 18 mars 2025 dans plusieurs villes de France. Cette manifestation, organisée par une intersyndicale, visait à protester contre la baisse continue de leur rémunération et le manque de transparence dans le calcul de celle-ci. Environ 500 manifestants ont participé à cette journée d’action nationale, avec des mobilisations particulièrement importantes dans les petites villes, selon les organisateurs.
Ampleur et Organisation de la Mobilisation
La mobilisation du 18 mars a été coordonnée par une intersyndicale regroupant Union-Indépendants, CGT Livreurs, FNAE (Fédération nationale des autoentrepreneurs) et Sud Livreurs. Initialement annoncée début mars, cette journée de protestation s’est déroulée dans une trentaine de villes françaises, dont Paris, Rennes, Lille et Bordeaux. Les manifestants étaient appelés à se rassembler à partir de 14h, selon des modalités qu’ils pouvaient déterminer localement.
À Lille, une dizaine de livreurs se sont rassemblés en centre-ville, scandant des slogans comme « Deliveroo, donne les sous » ou « Livreurs en colère, y en a marre de la galère ». La participation a varié selon les villes, mais l’action a permis de donner une visibilité nationale aux revendications des livreurs indépendants qui travaillent pour les grandes plateformes de livraison.
Témoignages des Livreurs Mobilisés
Plusieurs livreurs ont profité de cette journée pour témoigner de leurs difficultés quotidiennes. Steeve Skerritt, livreur depuis 2019, a expliqué travailler simultanément pour quatre ou cinq plateformes : « On est obligés de multiplier les plateformes, sinon on ne s’en sort pas. Ça permet d’avoir le choix des courses plutôt que de subir les tarifs, sachant qu’ils sont déjà très bas ».
Joseph Atangana, président de l’Association des coursiers autonomes de Bretagne, a souligné le paradoxe de leur statut : « Nous sommes à la merci des algorithmes. C’est le seul secteur où on est autoentrepreneur mais où l’on n’est pas en mesure de déterminer notre rémunération, c’est la plateforme qui fixe les prix ». Ce sentiment d’impuissance face aux décisions unilatérales des plateformes est partagé par de nombreux livreurs participants.
Causes de la Contestation
Baisse Significative des Rémunérations
Le principal motif de mobilisation concerne la diminution continue des rémunérations. Selon les syndicats organisateurs, « en un an, les plateformes ont abaissé la rémunération des livreurs de 25% ». Cette tendance est corroborée par plusieurs témoignages, comme celui d’Adrien Teurlais qui déclare : « Avant je pouvais gagner 400-500 euros par semaine quand je travaillais bien. Depuis un an ou deux, il y a 20% de baisse de revenus ».
Une étude de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), publiée en octobre 2024, confirme cette tendance baissière. Les données montrent que le revenu moyen des livreurs « a baissé depuis 2021, et ce, peu importe la plateforme ». Plus précisément, chez Deliveroo, les livreurs percevaient en moyenne 17,30 euros de l’heure en 2021 contre 16,80 euros en 2023. Chez Uber Eats, le revenu horaire est passé de 11,90 euros à 10,10 euros sur la même période, tandis que chez Stuart, il a diminué de 13,10 euros en 2021 à 11,30 euros en 2023.
Opacité des Algorithmes et Manque de Transparence
Le second point majeur de contestation concerne l’opacité des algorithmes qui déterminent les rémunérations. Selon les syndicats, pour la première fois pendant la saison hivernale 2024-2025, les prix pratiqués par les plateformes sont passés « sous les 1 euro du kilomètre ». Cette baisse serait en partie liée à une réforme des algorithmes expérimentée dès le 10 octobre 2023 dans trois villes avant d’être généralisée à l’ensemble du territoire le 1er novembre 2023.
Bilel Bounab, représentant de la FNAE, a souligné cette problématique sur France Info : « La rémunération par course est totalement opaque. D’année en année, le prix descend et le livreur n’a aucune idée de la somme qu’il va toucher in fine ». Cette absence de prévisibilité dans les revenus est particulièrement problématique pour ces travailleurs indépendants qui doivent pourtant assumer des charges fixes.
Revendications des Livreurs et de leurs Représentants
Face à cette situation, les livreurs mobilisés et leurs représentants syndicaux ont formulé plusieurs revendications claires.
Amélioration et Transparence de la Rémunération
La première revendication porte sur l’amélioration substantielle de la rémunération. Fabian Tosolini, délégué national d’Union Indépendants, demande que les plateformes mettent en place « en urgence un prix minimal garanti de 3,20 euros par course ». À plus long terme, il appelle à une « refonte complète » du système de paiement avec la mise en place d’une « rémunération horokilométrique » qui prendrait en compte l’intégralité de la course, de son acceptation par le livreur jusqu’à la livraison chez le client.
En parallèle, les syndicats revendiquent « la transparence algorithmique » dans le calcul de cette rémunération. Ils dénoncent les disparités inexpliquées : « On a par exemple deux livreurs devant un même restaurant qui vont livrer le même plat à la même distance: un livreur sera payé 2,85 euros et l’autre sera payé 5 euros », explique Fabian Tosoline.
Lutte Contre la Précarisation du Métier
Au-delà des questions de rémunération, les syndicats demandent la fin de « la précarisation du métier ». L’enquête de l’autorité de régulation du secteur publiée en octobre a révélé que la rémunération de nombreux livreurs indépendants n’atteint pas le SMIC horaire (11,65 euros brut en France) si l’on prend en compte le temps passé à attendre les commandes, malgré de récents accords destinés à fixer un seuil minimal.
Cette situation pousse de nombreux livreurs à multiplier les plateformes ou à diversifier leurs activités. Comme l’explique Vany, livreur à vélo : « Aujourd’hui, si on veut tenir avec ce métier à temps plein, soit on vit dans une misère complète soit on est obligé de se diversifier ».
Réaction des Plateformes et Perspectives
Face à cette mobilisation, l’Association des Plateformes d’indépendants (API), qui regroupe Deliveroo, Uber Eats et Stuart, a indiqué avoir proposé « ce jour de nouvelles mesures qui vont au-delà des avancées acquises depuis 2023, avec notamment la mise en place d’un minimum de revenus fondé sur le temps et la distance, et d’une compensation financière en cas de restaurant fermé ». Cependant, selon l’API, les syndicats « ont refusé de débattre des avancées mises sur la table ».
Les plateformes affirment avoir « déjà formulé aux organisations de travailleurs, en janvier puis en février, deux propositions ambitieuses visant à établir un minimum fondé sur le temps et la distance, correspondant à une demande prioritaire des organisations de travailleurs ». Elles ajoutent que « si à ce stade, un accord n’a pas encore pu être trouvé, les plateformes restent entièrement mobilisées pour continuer à faire de ce dialogue social un succès ».
Un Secteur en Quête d’Équilibre
La manifestation du 18 mars 2025 illustre les tensions persistantes dans le secteur de la livraison à domicile. Malgré la mise en place progressive d’un cadre réglementaire et de négociations collectives, les livreurs indépendants continuent de dénoncer une dégradation de leurs conditions de travail et de rémunération.
La question centrale reste celle de l’équilibre entre la flexibilité revendiquée par les plateformes et la protection sociale et économique des travailleurs. Les algorithmes, au cœur du modèle économique de ces entreprises, cristallisent les tensions par leur opacité et leur impact direct sur les revenus des livreurs.
Cette mobilisation s’inscrit dans un contexte plus large de questionnement sur le statut et les droits des travailleurs de l’économie des plateformes, un débat qui dépasse les frontières françaises et qui semble loin d’être résolu malgré les tentatives de dialogue social engagées.
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