Votre feuilleton, offert par Titan-Informatique, spécialiste en dépannage et solutions.
Chapitre 1 – L’Attente
Chapitre 2 – Le Retour à la Basse Ville
Chapitre 3 – Ce que dissimule le sol
Chapitre 4 – L’ombre ne meurt jamais
Chapitre 5 – Le feu de La Garde
Chapitre 6 – Trois types biens
Chapitre 7 – Déconstructions
Elle ne savait pas combien de temps elle avait marché.
Ses jambes tremblaient encore, ses bras étaient couverts d’égratignures, et ses vêtements — cette robe qu’elle avait choisie ce matin même avec soin — pendaient comme une vieille serpillière. Une partie d’elle voulait appeler quelqu’un. N’importe qui. Mathieu. La police. Même Monsieur Louis. Mais une autre partie, plus profonde, plus animale, refusait de parler. De peur que les mots ne fassent revenir la chose.
Delphine avait remonté à pied le tunnel, puis l’Avenue Alphonse Juin, comme une automate. Des klaxons, des scooters, des cris d’enfants, tout sonnait étouffé, comme sous l’eau. Et pourtant, plus elle approchait du cours Lafayette, plus elle sentait une chaleur revenir. Un ancrage.
Ici, elle connaissait les visages.
La dame au petit chihuahua toujours en colère. Le couple de retraités allemands qui demandent chaque semaine des timbres pour Berlin. Le poissonnier qui se bat contre la marée des impayés. Et même les SDF, en petits groupes sous les arcades, qu’elle avait d’abord évités par habitude… Mais aujourd’hui, ils lui paraissaient familiers. Rassurants.
Ryan était là. Assis sur une caisse retournée, capuche relevée, discutant avec un type au visage buriné. Il leva à peine les yeux vers elle. Mais c’était suffisant. Ce simple regard. Une présence. Un repère.
Elle se sentit presque en sécurité.
Delphine bifurqua dans la ruelle qui menait au tabac.
L’endroit était baigné par la lumière de fin d’après-midi. Chaude. Tranquille. Les mêmes néons délavés. Le bruit familier du tiroir-caisse. Le parfum entêtant du tabac blond.
Barbara était derrière le comptoir.
Elle se tourna aussitôt, fronça légèrement les sourcils en la voyant.
— Delphine ? Tout va bien ? T’es… t’es pâle. T’as couru ?
Delphine hocha la tête. Un geste mécanique. Pas un mot.
— Il s’est passé quelque chose ? T’as l’air…
Barbara s’interrompit. Elle sentit qu’il ne fallait pas insister. Pas maintenant.
Un silence.
Puis, presque avec légèreté :
— Écoute… ce soir, j’avais prévu de sortir au BDM. Si t’as besoin de décompresser, tu peux venir avec moi. Juste un verre, entre filles. Ça te fera du bien.
Delphine aurait dû refuser. Par réflexe. Par pudeur.
Mais l’idée de rentrer chez elle… de franchir à nouveau la porte de l’immeuble, de passer devant cet appartement, de sentir à nouveau cette présence dans les murs…
Impossible.
Elle baissa les yeux. Chercha une excuse. N’en trouva aucune.
— …Oui. Oui, je veux bien.
Sa voix n’était qu’un souffle. Mais Barbara sourit, soulagée.
— Super. Je finis à 18h30, on y va ensemble.
Delphine s’assit à l’arrière de la boutique, dans l’ombre, près du radiateur.
Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle venait de vivre.
Mais une chose était sûre.
Elle ne voulait pas rester seule.
Alex imprimait distraitement les étiquettes des nouvelles bières lorsque, déjà, le flot incessant des clients — étudiants affamés et travailleurs du BTP en quête d’une pause — l’interrompait pour commander une pinte. Le brouhaha ambiant, ponctué par les rires et les échanges hâtifs, contrastait avec l’atmosphère méthodique qu’il tentait de préserver.
Pendant que le groupe prévu pour ce soir prenait place et entamait leurs légères plaisanteries, Alex leur rappela d’une voix précipitée qu’il devait terminer l’installation avant 18 heures. Les habitués, sortis des bureaux, ne semblaient pas apprécier de siroter leur pinte dans le vacarme des répétitions musicales. Pour lui, cet instant était le meilleur moment de la journée : l’activité battait son plein, sans pour autant basculer dans le stress.
Mais alors qu’il s’exprimait à un rythme presque effréné, le bruit soudain d’un verre se brisant le fit suspendre un instant. Il se demanda, à la fois surpris et préoccupé, où pouvaient bien être cachés la pelle et le balai. Pourtant, le temps pressait : un autre verre se fracassa, puis un troisième, un quatrième, accompagnés de cris étouffés venant de la terrasse couverte attenante au babyfoot.
Alex se leva en un bond et se précipita vers la terrasse. Là, dans la pénombre d’un après-midi qui se délestait de ses dernières lueurs, il aperçut un client inhabituel. L’homme, vêtu comme un banquier ou un commercial, semblait vouloir s’imposer. Il s’était emparé des verres disposés sur les tables, les lançant contre le mur dans une démonstration de force mal contrôlée. Alex, interloqué, se dit qu’il lui avait pourtant servi une bière légère. Quoi qu’il en fût, il fallait agir.
S’approchant pour tenter de négocier le départ de ce perturbateur, Alex fut pris de court : l’homme tenta soudain de l’attraper. Fort de ses années de pratique en judo, Alex réagit instinctivement et projeta l’individu vers le bas de la terrasse, veillant à ne pas le blesser gravement. Mais l’assaillant, imperturbable, reprit immédiatement la charge. Dans un ultime sursaut, Alex élargit sa prise, envoyant le furieux valser contre les roseaux, puis heurtant violemment le grillage qui séparait le BDM du terrain voisin, occupé par un loueur d’engins de chantier.
Pendant qu’il réalisait à peine qu’il avait, il y a trente secondes, préparé des étiquettes minutieusement imprimées, Alex se retrouva propulsé dans le rôle inattendu de videur. Ses collègues de travail, toujours ponctuels, devaient arriver dans quinze minutes. Quelques musiciens, des quinquagénaires costauds, se proposèrent d’intervenir, mais Alex, refusant toute aide, se mit en quête du perturbé afin de s’assurer qu’il n’avait pas été trop malmené.
Le grillage, désormais enfoncé et tordu, témoignait du tumulte passé. En s’avançant dans la pénombre pour vérifier que tout était en ordre, Alex ne remarqua pas l’ombre silencieuse qui se glissait derrière lui. En un éclair, il se sentit menacé. L’homme, dans un geste foudroyant, brandissait un couteau — un grand couteau qui scintillait sous les projecteurs naissants.
Le souvenir de sa femme et de ses deux enfants traversa son esprit. Dans un geste de désespoir réfléchi, il ôta précipitamment son polo à capuche, ce vêtement promotionnel offert par un fournisseur d’une petite brasserie de La Farlède, et s’en servit pour protéger l’une de ses mains. Deux esquives chanceuses plus tard, Alex se retrouva acculé entre des tractopelles, sans échappatoire immédiate, et l’assaillant, déterminé à le planter.
Face à cette situation absurde, Alex se rappela la phrase qu’il répétait inlassablement depuis son adolescence : « Je suis trop vieux pour ces conneries. »
Au même moment, les projecteurs du terrain s’allumèrent brusquement, et Carlos, le patron — ancien policier désormais en disponibilité pour diriger sa propre société de location — surgit, balai en main. D’une voix autoritaire, il ordonna à l’homme armé de jeter son couteau. L’assaillant ricana, mais, avant même de pouvoir répliquer, se jeta sur Carlos. D’un geste précis, Carlos brandit le balai qui se révéla être un nettoyeur haute pression. Un jet puissant fut dirigé sur l’assaillant, propulsant le couteau en l’air et, dans le même élan, arrachant le pouce de l’homme.
Il était exactement 17 heures. Tandis qu’Alex reprenait son souffle, la phrase résonna encore dans sa tête, mêlant résignation et une étrange forme d’humour amer : « Je suis trop vieux pour ces conneries. »
Chapitre 1 – L’Attente
Chapitre 2 – Le Retour à la Basse Ville
Chapitre 3 – Ce que dissimule le sol
Chapitre 4 – L’ombre ne meurt jamais
Chapitre 5 – Le feu de La Garde
Chapitre 6 – Trois types biens
Chapitre 7 – Déconstructions