Asteroid City : Apprendre à regarder Wes Anderson autrement

Un film qui met en scène une pièce de théâtre dans un programme télévisé ? Voilà le pari singulier de Asteroid City, réalisé par Wes Anderson en 2023. Le film alterne entre la représentation d’une pièce fictive se déroulant dans un désert américain et un documentaire en noir et blanc sur les coulisses de sa création, présenté par Bryan Cranston.

Et pourtant, malgré cet agencement ambitieux, Asteroid City ne m’a pas touchée. J’avais pourtant adoré Rushmore et The Grand Budapest Hotel. Peut-être est-ce parce que leur narration était plus linéaire, leurs émotions plus palpables ?
Dans cet article, je cherche à comprendre pourquoi l’univers d’Anderson peut dérouter — et comment apprendre à l’apprécier autrement, même lorsque l’émotion nous échappe.

Affiche du film
Asteroid City, Wes Anderson (2023)

Théâtre et cinéma : une mise en abîme déroutante

Le récit de Asteroid City repose sur un enchevêtrement de niveaux narratifs : la pièce, sa création, les répétitions, les réflexions des comédiens… Le tout est orchestré comme une véritable mise en abyme. Le spectateur est constamment déplacé, guidé par des indices visuels — couleur pour la pièce, noir et blanc pour le documentaire — et des panneaux précisant les actes, les scènes.

Le film n’impose aucun point de vue sur ces récits enchâssés. Au contraire, il nous laisse deviner ce qui relève de la fiction, du souvenir ou du commentaire méta. Ainsi, lorsqu’un personnage demande : « Est-ce que c’est pour de vrai ? », on ne sait plus s’il joue son rôle ou s’interroge sincèrement sur le sens de l’œuvre.

La critique du New Yorker résume bien cette structure :« C’est une histoire de gens qui racontent une histoire, en prétendant se comprendre eux-mêmes à travers la performance. »

Ce jeu constant entre réalité et fiction rend la narration stimulante, mais peut aussi créer une distance. Comme dans The Phoenician Scheme, j’ai ressenti un manque d’émotion, un froid poli qui m’a laissée sur le seuil.

 Bryan Cranston dans son rôle de présentateur d'émission
De mise en abîme, en mise en abîme

La métafiction : clé de lecture ou barrière émotionnelle ?

Peut-on être touché par un film qui, dès le départ, nous dit que tout est faux ?
Dans Asteroid City, les personnages sont obsédés par le fait de « jouer juste », de « comprendre leur rôle », sans jamais véritablement ressentir. La question du deuil, notamment, revient de manière abstraite, intellectualisée, jamais vécue.

Ce vide émotionnel est pleinement assumé. Anderson semble mettre en scène l’impossibilité même de ressentir, dans un monde saturé de rôles et de simulacres. Peut-être que l’objectif n’est pas de nous émouvoir, mais de nous faire réfléchir sur cette incapacité à ressentir — comme un miroir froid tendu à nos existences contemporaines.

Jake Ryan dans son rôle
Un vide absolu

Le style Anderson : beauté maniaque ou langage narratif ?

L’esthétique de Wes Anderson est immédiatement reconnaissable. Cadrages symétriques, couleurs pastel, décors millimétrés : tout semble sorti d’un rêve géométrique. Ce style, parfois qualifié de « tyrannique », devient un langage à part entière.

Mais ce style peut aussi être vu comme un filtre sensible : il ne masque pas l’émotion, il la déplace. Le spectateur est invité à ressentir différemment — non plus par identification aux personnages, mais par une forme de contemplation, voire de méditation visuelle.

Apprendre à aimer l’absurde : un mode d’emploi émotionnel

L’absurde n’est pas nouveau au cinéma : il traverse l’œuvre de Beckett, de Ionesco, de Lynch ou de Godard. Dans Rushmore, Wes Anderson citait déjà Kafka — figure emblématique de cette étrangeté logique.

Dans Asteroid City, il ne s’agit pas de raconter une histoire conventionnelle, mais d’installer des situations absurdes pour mieux révéler le vide, l’ennui, l’incommunicabilité. Comme l’écrit la critique Hannah Strong dans Little White Lies : « Ce n’est pas la résolution qui compte, c’est d’apprendre à vivre avec l’ambiguité. ».

Ainsi, aimer un film de Wes Anderson, c’est peut-être accepter de ne pas « tout comprendre », mais d’habiter ce flottement. C’est une autre manière de ressentir : moins émotionnelle, plus existentielle.

Une fête foraine improvisée dans le désert
Le bazard hétéroclite de Asteroid City

Une invitation à la lenteur et à la réouverture

Je n’ai pas accroché à Asteroid City. Son univers m’a semblé trop lisse, trop fermé. Mais en y réfléchissant, je réalise qu’il m’a fait questionner mes attentes de spectatrice. Qu’attendons-nous d’un film ? Qu’il nous fasse pleurer, vibrer, ou simplement penser autrement ?

Comme le dit le personnage joué par Anna Karina dans Pierrot le fou : « J’sais pas quoi faire, qu’est-ce que j’peux faire ? ». L’ennui, parfois, est une émotion. Un espace où l’on se retrouve face à soi-même. Peut-être que les films de Wes Anderson ne cherchent pas à nous émouvoir, mais à nous ralentir. À nous faire éprouver ce flottement du monde moderne — à travers des images parfaites et un humour décalé. Une esthétique du doute, en somme.


A propos de Asteroid City :

Disponible en prêt aux médiathèques Chalucet, Pont-du-Las et Port-Marchand.


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