L’univers de The Last of Us remet puissamment en question notre perception des héros.
Les deux personnages principaux, Joel (interprété par Pedro Pascal) et Ellie (Bella Ramsey), évoluent dans un monde ravagé par un champignon mutant, le Cordyceps, transformant les humains en créatures infectées. Cette pandémie fongique, née du dérèglement climatique, a plongé l’humanité dans le chaos.
Si les gamers ont découvert l’histoire à travers le jeu vidéo culte sorti en 2013 (développé par Naughty Dog), l’univers est désormais accessible à un public plus large grâce à la série éponyme diffusée sur HBO et Amazon Prime Video.
Attention : cet article contient quelques éléments clés de la série.

Héros ou anti-héros ?
Dès les premiers épisodes, Joel nous est présenté comme un homme brisé et désabusé, un contrebandier prêt à tout pour survivre. Il accepte d’escorter Ellie uniquement parce que la mission est rémunérée. La fillette n’est, au départ, qu’un colis à livrer.
Mais au fil de leur périple, des liens se tissent. Joel se laisse toucher, il s’attache, il protège. Ce glissement progressif le fait apparaître comme plus humain, plus héroïque.
Pourtant, ce basculement est-il vraiment un signe de rédemption ? Ou simplement une autre forme d’égoïsme, recentrée sur ses affects ?
De la survie, des sacrifices… ou de l’égoïsme ?
Ce type de retournement est fréquent dans les récits : l’anti-héros qui, par amour ou loyauté, devient une figure positive.
Mais The Last of Us pousse plus loin cette tension. Joel est-il devenu un héros parce qu’il protège Ellie ? Ou s’est-il enfermé encore davantage dans un amour possessif, refusant toute forme de sacrifice au nom du bien commun ?
Le dernier épisode de la saison 1 cristallise ce dilemme : face au choix entre sauver l’humanité ou préserver une relation intime, Joel tranche. Brutalement. Jusqu’où ira-t-il pour sauver sa “fille de substitution” ?
À ce stade, ce n’est plus de la protection, mais de l’égoïsme déguisé en amour.

Un drame humain sur fond d’apocalypse
Le récit de The Last of Us est avant tout un drame humain. L’apocalypse n’est qu’un décor.
Ce que la fiction met en lumière, c’est notre propre système de valeurs. Car depuis l’Antiquité, les récits nous aident à réfléchir au réel par analogie.
Comme l’écrit Aristote dans La Poétique : “La tragédie est l’imitation d’une action noble, conduite jusqu’à sa fin, […] suscitant la pitié et la crainte, et opérant la purgation de ces émotions.”
De même, Vincent Jouve parle du “lecteur impliqué” : celui qui s’identifie au personnage et revisite, par cette identification, ses propres émotions morales (Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, PUF, 1992).
C’est aussi ce que faisait La Fontaine à travers ses fables. En surface, elles racontent une histoire simple ; mais en creux, elles invitent à réfléchir sur notre propre comportement.

Bien commun ou bien individuel ?
The Last of Us met en lumière l’éternel débat de l’humanité : sauver l’individu ou la collectivité ? Vivre en société devrait nous inciter à privilégier le bien commun, mais notre nature nous pousse souvent à l’inverse. L’être humain est conçu pour s’attacher à des entités personnifiées. C’est ce qui a conduit certains régimes dictatoriaux à instaurer un culte de la personnalité : mettre un visage sur la communauté pour encourager les sentiments d’appartenance.
À l’inverse, le personnage de Tommy incarne une autre posture : sans renier ses attaches personnelles, il choisit d’intégrer une communauté structurée à Jackson, avec des règles et une volonté de reconstruire un monde viable. Son parcours suggère qu’il est possible de concilier attachement individuel et engagement collectif.

Claude Lévi-Strauss, dans De près et de loin, souligne : « On a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite alors qu’elle est faite d’habitudes, d’usages, et qu’en broyant ceux-ci sous les meules de la raison, on pulvérise des genres de vie fondés sur une longue tradition, on réduit les individus à l’état d’atomes interchangeables et anonymes. » (Claude Lévi-Strauss, De près et de loin, entretien avec Didier Eribon, Odile Jacob, 1988).
Cette citation met en évidence la tension entre l’individualité et la collectivisation, résonnant avec le dilemme de Joel entre son attachement personnel et le bien commun.
Une morale sans solution
Les créateurs de The Last of Us ont relevé un pari rare : créer un héros profondément ambigu, à la fois attendrissant et dérangeant.
Loin de dresser une figure de vertu pure, ils nous confrontent à nos propres paradoxes : que vaut la morale quand tout s’écroule ? Peut-on encore faire des choix “justes” quand il n’existe plus de cadre commun ?
L’attachement de Joel est sincère. Son amour est réel. Mais il tue pour cela. Il ment. Il choisit une vie contre toutes les autres. La série ne juge pas, elle montre. Et c’est peut-être ce qui en fait une œuvre marquante : elle nous laisse seuls avec nos dilemmes.
Au fond, il n’y a ni bons ni mauvais choix. Il y a seulement nos priorités, nos valeurs, et les conséquences que nous sommes prêts à porter.

A propos de The Last of Us :
Première saison disponible en prêt aux médiathèques de Toulon.
Saison deux en cours de diffusion tous les lundis sur HBO et Amazon Prime Vidéo.