Retourner en enfance, avec nos joies, nos peines et nos rêves. C’est ce que nous propose Wes Anderson dans son deuxième film, Rushmore.
Max Fischer (Jason Schwartzman) est boursier de l’académie Rushmore, prestigieuse école privée dans l’Amérique des années 90. Seulement, les matières l’intéressent peu. Ce qu’il préfère, ce sont les multiples activités extrascolaires. Très vite, il se lie d’amitié avec plusieurs personnages hauts en couleur, notamment Herman Blume (Bill Murray), riche industriel un peu paumé.

L’esthétique : un monde trop petit pour les rêves
Si dans The Phoenician Scheme, l’esthétique d’Anderson semblait étouffer le fond, Rushmore réussit un équilibre plus juste. On retrouve bien ses cadrages emblématiques – ces compositions où les décors semblent trop étroits pour les personnages – ainsi que sa palette de couleurs douces, presque passées, comme dans un rêve éveillé.
Mais ici, l’esthétique ne fait pas qu’illustrer : elle raconte. Max n’a que 15 ans, mais rêve déjà d’être un adulte. Le cadre, trop petit pour ses ambitions, devient une métaphore visuelle de cette adolescence entre deux mondes.
« Le style de Wes Anderson est celui d’un enfant qui joue à faire du cinéma sérieux. Mais derrière ce jeu, il y a une profonde compréhension de la solitude. » – Richard Brody (The New Yorker)
La mise en scène, très contrôlée, évoque la mécanique des souvenirs : les actions s’enchaînent parfois de façon surréaliste, mais toujours avec une mélancolie tendre.
« Rushmore est un film où l’ironie visuelle sert de voile à une tristesse douce, presque romantique. » – The New Yorker

L’école comme théâtre de soi (et des autres)
Un peu dans la lignée du Cercle des poètes disparus (Peter Weir, 1989), Rushmore nous invite à réfléchir à ce qui compte vraiment pour nous, indépendamment des attentes sociales. Les élèves n’y rejettent pas l’école, mais la réinventent à leur image.
Max, par exemple, ne cherche pas à avoir son diplôme : il veut vivre pleinement sa vie d’écolier. Il s’implique dans tous les clubs, les monte, les dirige. Son école devient un terrain d’expérimentation. Même amoureux, il rêve grand : il veut séduire une institutrice par la grandeur de ses projets, et non par son âge.
« L’adolescence est ce moment décisif où nous jouons à être, jusqu’à trouver qui nous sommes. » – Philippe Jeammet, psychiatre spécialiste de l’adolescence

L’amitié intergénérationnelle, apprendre dans les deux sens
Mais ce qui me touche le plus, c’est l’échange entre générations. Herman Blume refuse de vieillir, de se confronter à ses responsabilités. Max, lui, refuse de grandir trop vite sur certains aspects. Leur rencontre n’est pas un transfert de savoir classique – un adulte enseignant à un enfant – mais un véritable dialogue.
Pris dans un triangle amoureux avec la même femme, les deux hommes se confrontent à leurs visions respectives de l’amour. Max reproche à Herman de ne rien avoir fait pour la séduire, quand lui a « sauvé le latin » pour elle. Dérisoire, mais touchant : l’ado croit encore qu’on mérite l’amour.
Le père de Max, modeste coiffeur, refuse qu’on l’appelle Monsieur Fischer : « Monsieur Fischer, c’était mon père. » Cette réplique en dit long. Elle évoque une génération d’hommes ayant grandi trop vite, sans avoir eu le luxe d’une adolescence. Max, au contraire, assume ce moment suspendu où l’on rêve encore. « Anderson filme des adultes comme des enfants tristes, et des enfants comme des adultes en construction. » – Télérama

L’adolescence comme mise en scène
Max est un metteur en scène de sa propre vie. Il écrit des pièces de théâtre “à succès” (dans le cadre de son école), dirige des clubs, monte des projets, change de costumes. Ce n’est pas qu’il ne sait pas ce qu’il veut faire de sa vie – c’est qu’il essaye tout, comme on essaye des rôles.
« C’est à l’adolescence que se construisent les compétences sociales, les habitudes de vie, les premières identités. » – Laurence Steinberg, psychologue du développement (Age of Opportunity)
Et même s’il se plante, ce n’est pas grave. Il apprend. Il chute, puis il recommence.
Rater pour mieux grandir
Au début, Max peut sembler être un “loser”. Mais il ne se laisse jamais abattre. Il transforme ses échecs en expériences. Wes Anderson offre ici une lettre d’amour à une période souvent caricaturée : il filme l’adolescence avec compassion, humour et mélancolie.
Rushmore nous rappelle, entre deux éclats de rire, que l’adolescence est ce moment où l’on s’autorise à rêver grand, à aimer fort, et surtout, à se tromper souvent. Et que c’est peut-être cela, la plus belle façon de grandir.
Mais surtout : qu’il n’est jamais trop tard pour retourner à l’adolescence.
Et moi, alors ? Quel est mon Rushmore ?

A propos de Rushmore :
Disponible en achat et location sur Amazon Prime.