Chapitre 7 – Déconstructions

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Chapitre 1 – L’Attente
Chapitre 2 – Le Retour à la Basse Ville
Chapitre 3 – Ce que dissimule le sol
Chapitre 4 – L’ombre ne meurt jamais
Chapitre 5 – Le feu de La Garde
Chapitre 6 – Trois types biens
Chapitre 7 – Déconstructions
Chapitre 8 — L’envers du décor

Delphine, toujours sonnée, referma la porte des toilettes derrière elle. L’odeur de sueur, de bière tiède et de friture l’agressa aussitôt. Elle serrait le papier froissé dans sa main, comme un talisman dérisoire. L’adresse griffonnée dessus dans une écriture presque militaire tremblait au rythme de ses pas.

Elle se dirigeait vers la salle quand elle les vit.

Barbara. Et Alex.

Ils arrivaient en riant, complices, une promiscuité presque grotesque dans leur manière de se frôler l’épaule. Barbara était maquillée comme pour un samedi soir de célibat, et Alex — toujours en attelle — gardait cette moue concentrée de barman débordé, même quand il n’était plus derrière le comptoir.

Delphine s’arrêta net. Leur route se croisait juste devant elle. Elle tenta un ton neutre :

— On rentre ? Je suis crevée.

Barbara, sans même ralentir, lança un sourire à moitié convaincant :

— Je fais un truc et j’arrive, t’inquiète.

Alex ajouta dans la foulée, à peine tourné vers elle :

— Moi aussi… je fais un truc… et elle arrive.

Et les deux s’enfermèrent ensemble dans les toilettes.

Delphine resta figée quelques secondes. Le bruit de la porte qui claque fut comme un écho froid dans sa tête. Elle ne comprit pas tout de suite l’ironie crasse de la situation. Ou plutôt, elle ne voulut pas la comprendre.

Elle tourna lentement les talons et chercha du regard l’endroit le plus fréquenté du bar. La scène.

Le groupe de rock braillait toujours sur l’estrade. Trois Types Biens déversaient un mur sonore dans une salle qui ne les écoutait qu’à moitié. Le sol collait, les verres s’entrechoquaient, et des rires flottaient au-dessus des discussions saturées de musique.

Delphine s’y glissa, entre un couple qui s’engueulait à voix basse et un grand type seul qui sirotait une bière brune en silence.

C’était là, au cœur de la foule, qu’elle se sentit un peu moins vulnérable. Comme si la masse des corps, les épaules, les voix, la protégeaient. Le monde visible, bruyant, tangible.

Elle jeta un coup d’œil à la porte des toilettes. Fermée.

Et dans sa main, le papier, encore tiède de sa chaleur.

Le nom de la rue ne lui disait rien.

Mais elle savait déjà qu’elle irait.

Peu importe ce que Barbara faisait derrière cette porte. Peu importe ce qu’Alex trafiquait, ou ce que son “Ryan” — non, le Capitaine Oriol — lui avait raconté.

Elle devait comprendre.


Le soleil frappait à travers les stores vénitiens, projetant des lignes pâles sur la table en formica de la cuisine. L’odeur du café fraîchement passé flottait dans l’air, mêlée à celle du pain grillé.

Delphine, engourdie, avançait lentement, les yeux encore gonflés par une nuit trop courte et sans rêves. Elle s’était endormie dans la chambre d’amis, ou plutôt un bureau reconverti, avec un vieux matelas et une couverture qui sentait la lavande. Elle n’avait rien dit, juste accepté l’hospitalité de Barbara, par fatigue, par inertie.

Et là, dans la cuisine, Alex.

Il était déjà installé. Pas rasé. Le bras toujours en écharpe. Il tournait lentement sa cuillère dans son mug, un regard fixe sur un point invisible du plan de travail. Aucun mot, aucune salutation. Il leva les yeux un instant, puis les rebaissa.

Delphine s’assit en silence. Le petit déjeuner avait été dressé : confiture de figues maison, beurre demi-sel, jus d’orange industriel. Un effort, ou une habitude ? Elle ne savait pas.

Le silence s’étira. Un de ces silences denses, chargés d’idées mal formulées et d’interprétations parasites. Elle repensait, image par image, au moment où Barbara et Alex s’étaient enfermés ensemble dans les toilettes du BDM. Leur manière de parler à l’unisson. Le sourire en coin d’Alex. Le clin d’œil de Barbara.

Elle mâchait lentement un morceau de pain, le regard vaguement flou, quand une hypothèse, cynique, lui traversa l’esprit. Peut-être que Barbara et son mari sont en couple libre… Ou alors plus en couple du tout. Peut-être qu’Alex n’est qu’un de ses jouets. Un barman, un mec cassé du bras, pourquoi pas ?

Elle but une gorgée de café. Trop fort, trop amer. Mais mérité.

Le bruit d’une clé dans la serrure la fit sursauter.

La porte s’ouvrit brusquement. Des rires d’enfants fusèrent.

Barbara entra, décoiffée, rayonnante. Elle portait une petite fille dans ses bras, deux ans à peine, une peluche en forme de dragon pendue à la main. Juste derrière, une gamine de six ou sept ans jaillit comme une balle dans le couloir.

— MAMAN ! crie-t-elle en déboulant dans la cuisine. Puis, en voyant Alex : PAPA !

Elle lui saute littéralement dessus. Alex grimace — pas de douleur, mais d’émotion contenue — et ouvre le bras libre pour la serrer contre lui.

— Et ton bras ? Pourquoi il est tout cassé ? T’as encore tapé quelqu’un ?

— C’est rien, ma puce, c’est presque fini, répond-il doucement.

Delphine sentit son estomac se contracter. Un froid étrange, une morsure d’incompréhension, puis une chaleur de honte la submergèrent.

Papa ?

Elle croisa le regard de Barbara, qui venait d’entrer avec un sourire épuisé mais doux. Celle-ci déposa la petite sur une chaise haute.

— Vous avez fait connaissance ? lança-t-elle à la volée. On n’a pas été trop longs ?

Delphine força un sourire. Faux. Lourd.

Fausse route. Fausse interprétation. Fausse accusation silencieuse.

Elle comprenait désormais. Il ne s’agissait pas d’une histoire de couple libre, ni de relations secrètes derrière des portes closes. C’était simplement une famille un peu désorganisée, un jeune couple peut-être encore en train de se construire. Mais cela ne correspondait pas à ce qu’elle avait imaginé.

Et ça, elle le détestait plus que tout : s’être trompée.

Elle vida son café d’un trait, reposa la tasse, puis se leva.

— Je vais prendre l’air, dit-elle simplement.

Sans un mot de plus, elle attrapa sa veste et sortit sur le balcon, laissant derrière elle le brouhaha des voix enfantines et l’odeur rassurante du petit déjeuner familial.

Chapitre 1 – L’Attente
Chapitre 2 – Le Retour à la Basse Ville
Chapitre 3 – Ce que dissimule le sol
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Chapitre 8 — L’envers du décor

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