Départ de Jean-Michel Aphatie de RTL : une rupture nourrie par des divergences historiques et éditoriales
Ce dimanche 9 mars 2025, Jean-Michel Aphatie a annoncé sur X (ex-Twitter) qu’il ne reviendrait pas à RTL. « Je ne reviendrai pas à RTL. C’est ma décision », a-t-il écrit. Ce départ marque l’aboutissement d’une crise déclenchée par ses propos sur la colonisation française en Algérie. Le journaliste, suspendu après avoir comparé les exactions commises par l’armée française au XIXe siècle au massacre nazi d’Oradour-sur-Glane, a refusé de revenir sur l’antenne. Il considère sa mise en retrait comme une punition injustifiée. Cette décision, expliquée dans un long message sur X, repose sur son refus de reconnaître une faute professionnelle et son engagement en faveur d’une reconnaissance officielle des violences coloniales. L’affaire, qui a mobilisé l’Arcom et divisé l’opinion, interroge les limites de la liberté d’expression dans les médias et la gestion des passifs historiques.
Contexte des propos controversés et suspension par RTL
Le 25 février 2025, lors d’un débat sur les relations franco-algériennes dans la matinale de RTL, Jean-Michel Aphatie a évoqué les méthodes utilisées par l’armée française pendant la colonisation de l’Algérie. Citant explicitement le massacre d’Oradour-sur-Glane, il a affirmé : « Nous avons fait des centaines [d’Oradour-sur-Glane] en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? » Il a précisé : « Les villageois algériens se réfugiaient dans des grottes. On a muré les grottes, mis du bois devant, allumé du feu et on les a asphyxiés », renvoyant à des épisodes documentés comme les enfumades de la tribu des Ouled Riah en 1845. Ces références, bien qu’historiquement exactes selon les travaux d’Alain Ruscio et Benjamin Stora, ont provoqué un choc chez ses interlocuteurs, notamment Florence Portelli, vice-présidente LR de l’Île-de-France, et ont déclenché une vague de signalements auprès de l’Arcom. La direction de RTL a réagi en le mettant en retrait à partir du 5 mars, invoquant la nécessité de « faire droit à l’émotion suscitée ».
La suspension : une mesure temporaire devenue définitive
Initialement présentée comme une pause d’une semaine, la suspension visait à apaiser les tensions. Cependant, Aphatie a interprété cette décision comme une sanction implicite. Dans son communiqué du 9 mars, il a souligné : « Une punition reste une punition. Si je reviens sur l’antenne, je valide cette punition, donc je reconnais avoir commis une faute. C’est un pas que je ne peux pas franchir ». Cette position reflète sa conviction que ses propos, bien que percutants, relevaient d’un devoir de mémoire plutôt que d’une provocation.
Les motivations de Jean-Michel Aphatie : entre engagement historique et refus de l’autocensure
Aphatie a justifié sa prise de parole par un travail de documentation approfondi sur la colonisation algérienne. Il a cité des historiens comme Benjamin Stora et Sylvie Thénault, dont les travaux décrivent l’« extrême violence » de la conquête et de l’administration française. Il a notamment évoqué le statut de l’indigénat, les expropriations massives et les inégalités systémiques, estimant que ces réalités restent « absentes de la conscience collective française ». Son refus de s’excuser découle de cette lecture : « Je ne peux pas admettre qu’on me punisse pour avoir rappelé des faits avérés ».
Un positionnement éthique contre la censure
Le journaliste a contrasté son traitement médiatique avec celui réservé à d’autres figures comme Éric Zemmour, soulignant que ce dernier n’avait « jamais été suspendu malgré des condamnations judiciaires ». Cette comparaison sous-entend une incohérence dans la gestion éditoriale des controverses, où la dénonciation des violences coloniales serait moins tolérée que les discours xénophobes. Aphatie a ainsi dénoncé une « injustice maintenue » dans le traitement médiatique des sujets historiques sensibles.
Réactions institutionnelles et débats publics
L’Arcom a ouvert une enquête pour déterminer si RTL avait manqué à ses obligations en diffusant ces propos. Cette procédure, rare pour une simple chronique, illustre la sensibilité accrue des sujets coloniaux dans l’espace public. Certains observateurs y voient une politisation des instances de régulation, tandis que d’autres estiment nécessaire un encadrement strict pour éviter les analogies incendiaires.
Clivages politiques et intellectuels
La classe politique s’est divisée. Marine Le Pen a qualifié les propos d’Aphatie de « révisionnisme anti-français », alors que des figures de gauche comme Jean-Luc Mélenchon ont salué son « courage ». Parmi les historiens, Alain Ruscio a confirmé l’exactitude des faits cités, mais Benjamin Stora a mis en garde contre les « anachronismes », rappelant que comparer les enfumades du XIXe siècle aux crimes nazis risquait de banaliser la singularité de la Shoah.
Implications pour RTL et le paysage médiatique français
Le départ d’Aphatie pose la question de la marge de manœuvre des journalistes pour aborder des sujets historiquement chargés. Alors que RTL justifie sa décision par le respect des auditeurs, certains éditorialistes dénoncent une « frilosité » face aux pressions conservatrices. La radio, propriété du groupe M6, pourrait voir son image ébranlée parmi les publics progressistes.
Vers un réexamen des passifs coloniaux ?
Cet épisode relance le débat sur la reconnaissance officielle des crimes coloniaux. Aphatie a appelé à une « loi mémorielle » similaire à la loi Taubira de 2001 sur l’esclavage, idée soutenue par des associations mais rejetée par l’Élysée, qui craint des tensions diplomatiques avec l’Algérie. Les récents travaux de la commission Stora (2021), qui préconisaient des gestes symboliques sans excuses officielles, restent inappliqués, ce que déplore le journaliste.
Conclusion : une rupture révélatrice des tensions mémorielles
Le départ de Jean-Michel Aphatie de RTL dépasse une simple querelle éditoriale. Il incarne les difficultés à concilier liberté d’expression, responsabilité historique et sensibilités contemporaines. Alors que la France navigue entre demande de transparence sur son passé colonial et crainte des divisions, cette affaire rappelle que les médias jouent un rôle central – et souvent contesté – dans la construction de la mémoire collective. Les suites dépendront de la capacité des institutions à encadrer ces débats sans les étouffer, un équilibre aussi nécessaire que fragile.
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