Mes Chers Voisins (La Comunidad) : entre humour noir et drôle d’horreur

Nous avons tous un voisin mystérieux. On ne le voit jamais sortir ni rentrer sa poubelle. Personne dans le quartier ne semble le connaître. Parfois, l’étiquette de sa sonnette est à moitié arrachée, comme une preuve qu’il veut qu’on le pense absent. Et si, en réalité, il avait gagné un pactole de plusieurs millions qu’il ne pouvait plus quitter des yeux ?
C’est le pari fou d’Álex de la Iglesia dans Mes chers voisins (La Comunidad, 2000). Ce réalisateur espagnol au style loufoque (Le jour de la bête, 1995) explore avec ingéniosité les codes de la comédie horrifique. Résultat : un film grinçant, inventif, et diablement efficace.

Climatisation : iNNi.fr renforce son service d’entretien au Pradet et à Carqueiranne

Affiche du film "La comunidad", Alex de la Iglesia, 2000
Mes chers voisins (Alex de la Iglesia, 2000)

L’héritage d’Almodovar

Impossible de parler du film sans évoquer Carmen Maura, récompensée par le Goya de la meilleure actrice pour son interprétation de Julia. Figure emblématique d’Almodóvar, elle apporte à Mes chers voisins un mélange de fragilité et de force comique. Elle-même confiait dans El País en 2000 :

«  Ma rencontre avec Álex a été très importante. Certains réalisateurs te font ressentir beaucoup de choses, et Álex, comme Pedro [Almodóvar], en fait partie. Avec lui, tu souffres et tu ris à la fois. »

Iglesia s’inspire largement du maître espagnol : humour grinçant, personnages hauts en couleur, décors visuellement marqués. Mais là où Almodóvar s’attache à l’intime et au mélodrame, Iglesia pousse les situations vers le grotesque et l’humour macabre. Il s’inscrit alors dans un genre plus vaste que le cinéma espagnol, celui de la comédie horrifique.

Carmen Saura dans le rôle de Julia, portant un tailleur rose, étendue sur un canapé rouge devant la télévision.
Carmen Saura (Julia), une « chica Almodovar » pleine de talent

La comédie horrifique

Mélanger rire et effroi n’est pas nouveau. Dès les années 40, Hollywood avait déjà tenté l’expérience (Abbott and Costello Meet Frankenstein, 1948). Plus tard, Mel Brooks en a fait une parodie culte avec Young Frankenstein (1974). Dans les années 80-90, des films comme Evil Dead 2 de Sam Raimi ou Braindead de Peter Jackson ont redonné ses lettres de noblesse à la comédie horrifique.

Pourquoi ce mélange fonctionne-t-il si bien ? Le psychologue Peter McGraw explique : « Le rire agit comme une soupape. Quand une émotion intense, comme la peur, est atténuée par l’humour, elle devient supportable, voire agréable. »

Mes chers voisins s’inscrit dans cette lignée, mais avec une identité espagnole marquée. Le film joue sur le malaise, le grotesque et la satire sociale. Olicier Bachelard, critique d’Abus de Ciné, note d’ailleurs :

« Dire que De la Iglesia joue avec nos nerfs est assez évident. Il alterne savamment des situations hallucinantes, et grossit légèrement le trait des personnages, les rendant à la fois attachants, et presque inhumains. […] Un film bourré d’humour noir, qui fait parfois penser à Délicatessen, mais qui est un vrai régal de retournements de situation et d’ingéniosité malfaisante. »

Une farce lucide

Sous ses airs de farce, Mes chers voisins propose une véritable critique sociale. Chaque habitant de l’immeuble incarne une facette de la société espagnole de l’époque : la cupidité, la méfiance, l’obsession des apparences. Loin d’être de simples caricatures, ils deviennent une allégorie d’un pays tiraillé entre solidarité affichée et individualisme rampant.

Comme l’écrit GQ España : « Dans La Comunidad, toute l’Espagne du début du siècle tient dans un vieil immeuble. Chaque locataire représente une parcelle différente de ce pays. (…) Le film fonctionne comme une fable ténébreuse sur la mesquinerie grotesque à laquelle la cupidité peut nous conduire. »

Ainsi, la violence n’est jamais gratuite : elle révèle un univers où l’argent achète la bienséance et où la chasse au plus faible devient un sport collectif.

Julia a l'air paniquée entre des policiers et ses chers voisins.
Des personnages stéréotypées, et pourtant réalistes

Aucune gratuité

Álex de la Iglesia aime déranger. Mais son objectif n’est pas seulement de choquer : il veut éduquer par le rire. En nous rendant complices et voyeurs de l’amoralité des voisins, il déchire le vernis des apparences.

Mes chers voisins est un film qui peut écœurer par ses scènes chocs, mais qui amuse autant qu’il met mal à l’aise. Ce mélange a séduit : le film a remporté trois Goyas en 2001. Preuve que l’humour noir, quand il est bien mené, reste une arme redoutable pour penser le réel.


A propos de Mes Chers Voisins :

Disponible gratuitement sur Arte.TV jusqu’au 28 février 2026.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *