Contrairement aux films précédents de Lynch, Une histoire vraie (The Straight Story, 1999) retrace la véritable odyssée d’Alvin Straight, entre road movie et western. Dans le nord des États-Unis, Alvin, 73 ans, décide de traverser l’Iowa et le Wisconsin pour retrouver son frère, qu’il n’a pas vu depuis des années, en… tondeuse à gazon !
Loin du surréalisme habituel de Lynch, ce périple improbable donne lieu à des rencontres profondément humaines. Et bien qu’il soit affaibli par la vie rude qu’il a menée, Alvin a encore beaucoup à offrir — et à recevoir.

Le paysage comme identité et miroir intérieur
Le motif de la moisson revient sans cesse. Il pourrait n’être qu’un marqueur temporel du long voyage d’Alvin, mais il devient peu à peu un personnage à part entière. Le film offre une vision réaliste et touchante du vieillissement. Ses 73 ans et son affaiblissement physique ne marquent pas la fin de son périple.
En donnant sans rien attendre, Alvin récolte à son tour : du courage, de la détermination, une forme de réconciliation intime qu’il ne s’était pas encore autorisée. Quand la moisson prend fin, son chemin s’achève.
A la manière des westerns classiques, le paysage devient un personnage à part entière, témoin et compagnon silencieux. Michel Chion le souligne dans David Lynch : « Le réalisateur accorde une importance primordiale aux paysages, qui deviennent des reflets de l’âme des personnages. »
La route comme retour vers le passé
Lynch ne s’est jamais caché de son admiration pour Wim Wenders — nous en avions parlé à propos de Paris, Texas. On retrouve dans Une histoire vraie une même forme de nostalgie douce mais persistante : après tout, le plus difficile en vieillissant, c’est peut-être de se souvenir qu’on a été jeune.
Cette mélancolie passe aussi par la figure du cow-boy : un héros solitaire rétablissant l’ordre, non par la force, mais par la parole.
Au fil des rencontres, dans les silences qu’offre la route, Alvin revient à l’essentiel. Il répare ce qui n’a pas été dans sa propre vie, à sa manière. Une deuxième chance qu’il choisit d’affronter avec ses propres moyens. Les Cahiers du cinéma parlent d’une « confession silencieuse » (n°541, 2000).
S’il n’a du cow-boy que l’allure, Alvin en incarne la liberté, l’amour de la nature et la fidélité à ses valeurs. Il s’en distingue toutefois par un choix fondamental : guérir la violence par les mots, et non par les armes.

Une violence sourde, presque inaudible
Aucune balle ne fuse dans ce western intimiste, mais la violence est bien là — plus insidieuse, plus émotionnelle. Elle affleure dans les récits : un vétéran brisé par la guerre, une adolescente enceinte et rejetée, deux frères brouillés depuis si longtemps qu’ils ont oublié pourquoi.
Lynch traite cette violence à sa manière, en la suggérant. Elle se glisse dans les silences après les paroles, dans les regards, dans la tension suspendue d’une scène. Et c’est sans doute ce qui la rend si forte.
Comme l’écrit Jean-Baptiste Thoret dans Le Western, « la violence chez Lynch est souvent intériorisée, transformant les personnages en champs de bataille émotionnels. »
Le silence comme moteur : quand le temps devient un ami
Lynch reprend aussi les grands espaces des plaines américaines, leur silence, leur respiration lente.
La bande-son d’Angelo Badalamenti est minimaliste : elle prolonge les silences, elle laisse la place au vent, aux insectes, au moteur de la tondeuse. Ce n’est pas un vide, mais un espace d’écoute. Comme un road trip sans autoradio, où l’on s’entend enfin penser.
La lenteur du film agit de la même manière. Alvin avance à son rythme, 8 km/h tout au plus. Lynch épouse ce tempo, refuse l’accélération, et laisse le paysage respirer.
Selon Nicole Brenez (Esthétique de la disparition au cinéma), « Le vide chez Lynch n’est jamais un néant : il est espace à combler par le spectateur, un appel à la projection personnelle. »

Un western introspectif
En croisant les codes du western et du road movie, Lynch réinvente une Amérique en marge, une Amérique humaine. Il ne nie pas les transformations — infrastructures modernes, destins cabossés — mais il révèle une Amérique profonde, enracinée.
Il donne corps à cette phrase de Jean-Loup Bourget (Le Western, pour une esthétique du mythe, 1995) : « Dans le western, le paysage agit comme une mémoire. Il est témoin d’un monde en mutation. »
Le cow-boy n’a plus besoin de cheval, ni d’éperons. Ce qui compte, c’est la route, le courage de l’emprunter, et les liens qu’on y tisse.
A propos de Une Histoire Vraie :
Disponible en prêt à la médiathèque Chalucet.