Ils disent que la France est une vieille dame immuable, indifférente aux tempêtes, qu’elle a vu passer rois, empereurs et présidents sans jamais vaciller. Ils assurent que ses institutions, forgées dans le granit républicain, sont inébranlables. Et ils se plaisent à croire qu’au-dessus des querelles, un cap toujours clair guide la nation. Pourtant, il suffit de gratter le vernis pour voir apparaître la fissure : le trône vacille, et la main qui tient le gouvernail hésite à chaque vague.
Ce désordre a pourtant ses racines dans un moment clair comme une scène antique : l’été 2024, quand Emmanuel Macron, tel un stratège pressé de forcer la bataille, dissout l’Assemblée nationale. Ce fut un geste d’apparat, presque théâtral, comme César franchissant le Rubicon — sauf qu’ici, le Rubicon débouchait sur un champ de marécages politiques où nul camp ne put imposer son drapeau. Le théâtre, soudain, n’avait plus de premier rôle.
Les mois qui suivirent furent un long cortège de figures, Barnier puis Bayrou, chaque apparition marquant la fragilité du pouvoir plutôt que sa solidité. Dans la mise en scène républicaine, les acteurs changent mais le décor reste le même : blocs irréconciliables, votes incertains, lois arrachées à coups de compromis boiteux. Les gestes, pourtant, disent plus que les discours : un budget voté dans la douleur, une fiscalité figée comme une horloge arrêtée, une souveraineté déclamée mais non incarnée.
Car le temps qui s’étire ici n’est pas linéaire. Il est cyclique, presque cosmologique, et rappelle les vieilles méditations stoïciennes : tout empire porte en lui sa chute, et toute crise prépare l’ordre qui la remplacera. Ce que nous vivons n’est pas inédit, mais la répétition d’une vieille pièce dont chaque génération croit être l’unique spectatrice.
Le chaos eut ses images fortes : l’Assemblée close, la rue grondante, l’inflation érodant le quotidien, les fermes en colère, les retraites en suspens. C’est dans cette nuit politique que surgit, fragile, l’espoir d’une réorganisation. Mais à l’horizon, aucune figure unique ne se détache : le RN s’affermit, le NFP résiste, LR marchande, et la coalition macroniste s’use. « Les révolutions qui réussissent sont celles qui commencent par se faire attendre. »
Aujourd’hui, l’ordre que l’on devine n’est pas encore bâti ; il est en esquisse. On en voit les pierres : budgets régaliens renforcés, hôpitaux modernisés, culture préservée. Mais la fresque reste inachevée, suspendue au fil ténu d’une majorité introuvable.
Qui peut croire que l’on gouverne durablement sans colonne vertébrale ? Que reste-t-il de la grandeur proclamée quand les alliances se font au prix du reniement ? Et comment parler de vision quand chaque horizon se brouille au matin ?
