Le journaliste Morton Mintz est décédé lundi à l’âge de 103 ans. Figure emblématique du Washington Post, il avait marqué les esprits dès les années 1960 par ses révélations sur les dérives des grandes industries, notamment pharmaceutiques, automobiles et du tabac.
Derrière cette disparition, se dessine un demi-siècle de combats pour la vérité. Depuis ses débuts dans la presse locale de Saint-Louis en 1946, Morton Mintz s’était imposé comme un pionnier du journalisme d’investigation, convaincu que la presse devait surveiller les puissants au nom de l’intérêt public.
Un avertissement mondial dès 1962
C’est en 1962 que son nom est devenu incontournable. Son enquête sur la thalidomide, un médicament prescrit aux femmes enceintes, a permis d’empêcher sa commercialisation aux États-Unis. Le traitement, déjà distribué en Europe, avait provoqué des milliers de malformations chez les nouveau-nés.
Mintz avait révélé que les autorités sanitaires américaines étaient sur le point d’approuver le produit, malgré les alertes de scientifiques. Son enquête, minutieuse, a sans doute sauvé des milliers de vies. Elle posait déjà les bases de sa méthode : recouper, documenter, alerter.
Le Dalkon Shield, autre scandale évité
Dix ans plus tard, il a levé le voile sur un autre drame sanitaire : le Dalkon Shield, un dispositif intra-utérin commercialisé sans tests fiables. De nombreuses femmes avaient souffert d’infections graves, certaines devenant stériles.
À l’époque, les laboratoires impliqués avaient tenté de minimiser les risques. Mintz, fidèle à sa rigueur, avait exhumé des documents internes prouvant la connaissance des dangers. Son article avait conduit au retrait du produit et à des procédures judiciaires.
Un engagement contre les abus de pouvoir
Morton Mintz ne s’est jamais limité à la santé publique. Il a enquêté sur les liens troubles entre les lobbys du tabac et les parlementaires, sur le financement opaque des campagnes politiques et sur les dépenses militaires non justifiées du Pentagone.
Chaque fois, son objectif restait le même : protéger les citoyens contre les abus des puissants. Il voyait dans la presse une contre-force, capable de rééquilibrer le rapport entre la société civile et les décideurs.
Un style rigoureux, une influence durable
Formé à l’Université du Michigan et vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Morton Mintz avait cultivé un style précis, presque austère. Il rejetait l’émotion pour privilégier les faits. Ses enquêtes inspiraient plus qu’elles ne commentaient.
Journaliste indépendant après son départ du Washington Post en 1988, il avait rejoint dès 1996 la Nieman Foundation à Harvard, comme conseiller du programme Watchdog, dédié au journalisme de surveillance.
Une figure saluée par Ralph Nader
L’avocat et militant Ralph Nader, figure du mouvement consumériste américain, lui a rendu hommage cette semaine. Selon lui, Mintz a profondément transformé le journalisme d’enquête, en l’orientant vers la protection des consommateurs et l’éthique publique.
Cette reconnaissance vient s’ajouter à une longue liste de prix : George Polk Memorial Award, Columbia Journalism Award, et plusieurs distinctions pour service public décernées par des guildes de journalistes.
Le journalisme comme mission publique
Mintz ne voyait pas le journalisme comme une carrière, mais comme un service au public. Il n’écrivait pas pour convaincre, mais pour éclairer. Il croyait à la responsabilité des rédactions et à la nécessité d’un contre-pouvoir médiatique permanent.
Son décès marque la fin d’une époque où la presse pouvait renverser des décisions politiques, stopper des lancements de médicaments ou mettre à nu des géants industriels.
