Des frappes aériennes thaïlandaises aux roquettes cambodgiennes, le conflit frontalier s’intensifie dangereusement.
Un regain de violence qui rappelle les pires heures du passé
Le 24 juillet, un missile tiré depuis le Cambodge a percuté une station-service dans la province thaïlandaise de Sisaket, à quelques kilomètres de la frontière. L’impact, qui a embrasé une supérette attenante, a causé la mort d’au moins huit civils, dont un enfant. Ce n’était que le début d’une journée sanglante : d’autres roquettes se sont abattues sur des villages, un parking d’hôpital et même un centre d’évacuation. Quinze Thaïlandais ont été tués, dont quatorze civils. En réponse, Bangkok a ordonné des frappes ciblées à l’aide de chasseurs F-16 sur des bases militaires cambodgiennes. Une spirale d’affrontements s’est enclenchée. Cette fois, jusqu’où ira l’escalade ?
Tensions anciennes et provocations récentes : une frontière inflammable
Les accrochages meurtriers du 24 juillet s’inscrivent dans une longue série de tensions frontalières entre les deux pays. Depuis l’incident du 28 mai, où des échanges de tirs avaient déjà coûté la vie à un soldat cambodgien près du temple de Preah Vihear, les relations n’ont cessé de se dégrader.
La veille des affrontements, Bangkok avait expulsé l’ambassadeur cambodgien et rappelé le sien. Selon le Bangkok Post, les hostilités auraient commencé le matin du 24 juillet, lorsque des soldats thaïlandais auraient repéré un drone cambodgien au-dessus des ruines du temple Muen Thom, dans le district frontalier de Surin. Six soldats cambodgiens auraient ensuite franchi la clôture séparant les deux armées, provoquant la réaction immédiate de l’armée thaïlandaise.
Depuis, les deux gouvernements s’accusent mutuellement d’avoir déclenché les hostilités. Phnom Penh appelle l’ONU à intervenir et à imposer un cessez-le-feu, tandis que Bangkok parle de provocation délibérée.
Une frontière militarisée et une population déplacée
Sur le terrain, l’affrontement a déjà pris une tournure quasi-militaire. L’armée thaïlandaise a mobilisé ses F-16 pour des frappes ciblées, alors que le Cambodge a riposté avec des tirs d’artillerie et de missiles. Selon les bilans croisés des deux camps, on dénombre entre 20 et 25 morts en une seule journée, dont une majorité de civils.
Plus inquiétant encore : plus de 140 000 civils thaïlandais ont été évacués des zones proches de la frontière. Le ministère de la Santé thaïlandais coordonne les secours, tandis que des hôpitaux de campagne sont installés dans les provinces de Surin, Si Saket et Ubon Ratchathani.
Phnom Penh parle de « légitime défense » et affirme avoir perdu un civil dans les frappes aériennes. La situation reste extrêmement tendue, avec plusieurs points de contact actifs entre les deux armées le long des 250 kilomètres de frontière contestée.
Un conflit ancien ravivé par des enjeux politiques
Le point central de la discorde demeure le temple khmer de Preah Vihear, site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008, et qui se situe dans une zone frontalière disputée. En 1962, la Cour internationale de Justice avait statué en faveur du Cambodge, mais la Thaïlande n’a jamais réellement accepté cette décision.
Le temple, à forte valeur symbolique, est régulièrement instrumentalisé par les dirigeants des deux pays à des fins politiques. En 2008, son inscription à l’UNESCO avait déjà déclenché une série d’affrontements ayant causé une vingtaine de morts jusqu’en 2011.
Aujourd’hui encore, le contexte politique exacerbe les tensions. En Thaïlande, la Première ministre Paetongtarn Shinawatra a été suspendue de ses fonctions début juillet, après la fuite d’une conversation controversée avec l’ancien dirigeant cambodgien Hun Sen. Accusée d’avoir critiqué l’armée thaïlandaise, elle a été poussée vers la sortie, et son intérim est désormais assuré par Phumtham Wechayachai, qui n’exclut pas une guerre totale.
La crise intérieure thaïlandaise alimente l’escalade
Certains analystes, comme le professeur Yann Roche, évoquent une possible « diversion politique » à Bangkok. La Thaïlande est plongée dans une instabilité politique chronique, avec une Cour constitutionnelle active, un pouvoir civil affaibli et une armée influente. Le conflit avec le Cambodge permettrait de resserrer les rangs, de rallier l’opinion autour d’un ennemi extérieur et de repousser des élections anticipées.
Du côté cambodgien, Hun Manet, fils de Hun Sen, exerce le pouvoir avec fermeté. Héritier d’un régime autoritaire solidement enraciné, il a récemment affirmé que le Cambodge était « prêt à tout » pour défendre sa souveraineté. Mais derrière ce discours musclé, le pays reste dépendant de ses alliés extérieurs.
Soutiens extérieurs : prudence diplomatique et alignements régionaux
Les appels au calme se sont multipliés. La Chine, les États-Unis, l’Union européenne et la France ont tous exhorté les deux parties à la désescalade. Le Cambodge a demandé un cessez-le-feu immédiat lors d’une réunion urgente du Conseil de sécurité de l’ONU, mais la Thaïlande n’a pas encore officiellement répondu.
La Chine, proche alliée du Cambodge, appelle à une solution négociée mais se garde bien de condamner Bangkok. Pékin entretient une alliance stratégique avec Phnom Penh, qui lui sert de relais dans l’ASEAN. Le Cambodge, avec la Birmanie et le Laos, fait partie des partenaires régionaux les plus fidèles de la Chine. Pékin cherche donc à soutenir son allié tout en évitant une rupture avec la Thaïlande, deuxième économie de la région.
Les États-Unis, eux, sont en position délicate. Ils entretiennent des relations étroites avec Bangkok, notamment sur le plan militaire, mais ne souhaitent pas alimenter un nouveau foyer de tension en Asie. Washington privilégie une position d’équilibre, en appelant à la paix sans s’ingérer directement.
Une recomposition régionale en marche ?
Alors que la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande s’embrase à nouveau, la question dépasse largement un simple litige territorial. Ce conflit met en lumière les fractures internes des deux pays, les rapports de force entre pouvoir civil et militaire, mais aussi l’influence grandissante des puissances extérieures sur l’équilibre régional.
La Chine, les États-Unis et l’ASEAN pourront-ils contenir cette flambée de violence ? Ou sommes-nous à l’aube d’une redéfinition plus large des équilibres en Asie du Sud-Est, entre nationalismes, instabilité politique et ambitions géostratégiques ? La paix dépendra désormais de la capacité des deux gouvernements à résister aux pressions internes autant qu’externes. Source 1 Source 2
