Ils se veulent proches du peuple, patriotes enracinés, amoureux des terroirs et du climat tempéré. On les imagine en short de lin, dégustant un rosé de Provence à l’ombre d’un olivier centenaire, comme des bergers d’un âge d’or républicain. Loin des plages dorées de Marbella ou des villas toscanes, ils affirment préférer l’Hexagone — ses criques corses, ses falaises normandes, ou encore le Fort de Brégançon, sentinelle de la Ve République. L’image est soignée, presque pastorale. Pourtant, sous cette posture estivale faussement candide, se dissimule un message politique plus calculé qu’il n’y paraît.
La tradition n’est pas nouvelle. C’est en 1968, au cœur d’une France fracturée, que le général de Gaulle s’éclipsa à Baden-Baden — une absence qui fit trembler les institutions. Depuis, chaque été présidentiel est scruté comme une parabole nationale : où dort le chef de l’État, là réside la République. Le Fort de Brégançon, depuis Pompidou, est ainsi devenu bien plus qu’un lieu de villégiature : une scène politique, un sanctuaire laïque où la France officielle fait mine de se reposer sans jamais cesser de gouverner.
Loin de fuir, nos dirigeants font mine de s’ancrer. Choisir la France, c’est manier le symbole avec art. Ce pays que l’on gouverne, on doit aussi le vivre, le sentir, le parcourir. Derrière les volets clos d’une maison de famille à Hossegor ou dans le silence organisé d’une résidence en Provence, ce sont des images qui s’impriment : la proximité, la modération, l’attachement au sol. Mais ce choix n’est jamais neutre. Il parle à un électorat qu’on voudrait rassuré, à une époque où le moindre voyage au-delà des frontières peut sembler trahison morale ou frivolité d’élite.
Le stoïcisme antique vantait la retraite comme acte de lucidité : se retirer non pour fuir le monde, mais pour mieux le comprendre. De Sénèque à Marc Aurèle, la vacance était un acte d’esprit. Aujourd’hui, elle devient outil de communication. Rester en France, c’est demeurer dans le théâtre républicain, mais en coulisses. Pourtant, comme dans toute tragédie, c’est souvent hors scène que les ruptures se préparent.
Car l’été n’efface pas le chaos. La grogne sociale sourde, les clivages identitaires s’aggravent, la défiance envers les élites progresse. À Paris, certains ministres font mine de rester pour “travailler”, entre deux communiqués feutrés. Mais la République semble souvent à l’arrêt, comme suspendue à des transats trop bien gardés.
Et pourtant, de cette torpeur organisée, surgit un ordre rassurant : celui d’un pouvoir visible, accessible, presque domestique. Le président à vélo, un ministre sur un marché, une députée en maillot rayé sur Instagram : autant d’images qui tentent de conjurer la verticalité du pouvoir.
Les discours, eux, viendront plus tard. À la rentrée, ils parleront de proximité, d’ancrage, de France éternelle. Comme un mantra face à la tempête qui vient.
Qui peut croire encore que ces séjours en bord de mer sont vierges de stratégie ? Que reste-t-il d’authentique dans ces mises en scène de simplicité ? La vacance du pouvoir est-elle un repos ou une dissimulation raffinée ?
En ce matin d’été, alors que les cigales couvrent le silence du monde politique, il ne reste peut-être qu’un mirage doré sur fond de cendres brûlantes.

De Gaulle à Baden-Baden, Macron à Brégançon : même combat ? Non. L’un partait pour sauver la République, l’autre pour sauver son image. Aujourd’hui, le pouvoir ne se cache plus, il se met en scène. La différence est vertigineuse.