David Hertzog Dessites : « Michel Legrand m’a affranchi de son regard »

Rencontre avec David Hertzog Dessites, réalisateur du film Il était une fois Michel Legrand

Vendredi 11 juillet, dans le cadre bucolique du Festival de la Lune au château de la Tulipe Noire, j’ai eu la chance d’assister à la projection du film Il était une fois Michel Legrand. Entre les rangées de vignes et les tracteurs qui tenaient la toile, l’atmosphère était à la fois poétique et chaleureuse. C’est dans ce décor singulier que j’ai rencontré le réalisateur David Hertzog Dessites, qui nous parle ici de son film-hommage, mais surtout d’une histoire de vie, de transmission et d’amour.

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Affiche du film Il était une fois Michel Legrand
Il était une fois Michel Legrand, David Hertzog Dessites (2024)

 » Michel est un homme que j’ai profondément aimé  »

En 2017, vous rencontrez Michel Legrand. De cette rencontre naît un film bouleversant. Peut-on dire qu’il s’agit autant d’un hommage que d’une déclaration d’amitié ?

— C’est plus qu’une déclaration d’amitié, c’est une déclaration d’amour, vraiment. Michel est un homme que j’ai profondément aimé. Je pense que c’est la seule personne que j’ai aimée autant qu’un membre de ma famille, sans être rattaché à lui par le sang.

C’est un homme qui a changé le cours de mon existence. D’abord parce qu’il m’a donné naissance de façon indirecte : mes parents se sont aimés sur une de ses chansons, The Windmills of Your Mind. Ma maman l’a écoutée tout au long de sa grossesse. Donc j’ai été nourri in utero aux vibrations musicales de Michel Legrand.

Et puis, quand je suis venu au monde, elle m’a fait découvrir cette chanson. J’étais complètement fasciné. Elle provoquait en moi des émotions très fortes, soit très joyeuses, soit très tristes. De véritables pics émotionnels.

Alors j’ai commencé à m’intéresser à sa musique, à l’écouter à la télévision, et j’ai découvert que Michel avait aussi composé pour des séries comme Il était une fois la vie, Il était une fois l’espace, ou Le dauphin — des séries que j’adorais. Et puis, bien évidemment, le coup de cœur est arrivé avec Yentl, le film de Barbra Streisand. Là, je me suis dit : il faut que je rencontre Michel.

Et j’ai eu cette chance, 35 ans plus tard.

Je suis allé vers lui en lui disant : « Monsieur Legrand, si j’existe, c’est un peu grâce à vous. » Il m’a regardé, intrigué : « Ah bon ? Mais comment c’est possible ? » Je lui ai raconté cette histoire. Il m’a répondu : « Oh mais c’est formidable ! »

On s’est revus ensuite chez lui, à Montargis. Ce déjeuner a duré cinq heures.

Voilà comment j’ai rencontré Michel.

Un portrait sans filtre

Le film mêle images d’archives et témoignages. Avez-vous hésité à montrer certaines facettes plus complexes de sa personnalité ?

— Non, au contraire. Je voulais être très honnête avec le public. Je ne voulais pas d’un film hagiographique, qui le mette uniquement sur un piédestal… Même si, de facto, il y est déjà ! Mais ça reste un être humain, avec ses bons et ses mauvais côtés. Michel, c’était quelqu’un de très impatient — l’impatience de l’enfance dans un corps de 85 ans. Une fois qu’on comprenait ça, tout devenait plus simple.

Une émotion intacte

Vous avez dû voir le film un bon nombre de fois en tant que réalisateur. Pourtant, vous en parlez encore avec émotion…

— C’est ça qui est terrible ! J’ai vu le film 85 fois, au moins, et je vous assure qu’à chaque fois, à deux ou trois endroits précisément, j’ai les larmes aux yeux.

Notamment un moment en Pologne, à Łódź, où rien ne va avant un concert. Et puis, le soir venu, Michel improvise une performance incroyable sur The Windmills of Your Mind. À ce moment précis, juste après ma voix off… la mélodie démarre, et j’ai la boule au ventre. Je ne sais pas pourquoi. C’est un mystère pour moi : pourquoi les harmonies, le toucher musical de Michel, me font autant d’effet ?

Et il y a aussi un moment vers la fin du film… Mais je ne veux pas spoiler.

L'écran projette une image de Michel Legrand et David Hertzog Dessites devant la lune montante.
Des moments pleins d’émotions, partagés par David Hertzog Dessites et Michel Legrand

Le message du film

Au-delà du portrait de Michel Legrand, que souhaitez-vous que les spectateurs retiennent ?

— « Il faut oser dans la vie faire ce que l’on aime ». Michel l’a fait, toute sa vie. Très tôt, jusqu’à très tard. Et ça a donné cette œuvre musicale sans précédent. La vie est faite pour ça : si on passe à côté de ce que l’on aime… c’est, quelque part, un bien perdu.

Et s’il avait vu le film… ?

Si Michel Legrand avait vu le film, que vous aurait-il dit en premier, selon vous ?

— [Il rit.] Michel serait venu me voir et m’aurait dit : « Ah mon chéri, tu fais chier ! ». Avec son intonation bien à lui. Il aurait évidemment trouvé des choses à redire !

Pendant le tournage, dans le Gers, chez Macha Méril, au petit déjeuner entre deux tartines, il me dit : « Je veux contrôler toutes les images de ton film ! ». Je me disais : « On est dans une merde noire, s’il met la main dedans, on s’en sortira pas ». Et Macha dit : « Non Michel, écoute… Toi, on t’a laissé tranquille toute ta vie, tu as eu la liberté de faire ta musique. Il faut que tu laisses cette même liberté à David ». Et là, il pose sa main sur la mienne et me dit : « David, elle a raison. Il faut que tu fasses le film que tu veux faire, que ça me plaise ou non ». C’était un affranchissement.

Ce film, c’est mon regard sur lui. Et, même si d’autres portraits existent, je crois que personne ne pourra raconter cette partie-là de sa vie comme je l’ai vécue.

La plus belle histoire du Festival de Cannes

Vous avez commencé votre parcours en balayant les rues de Cannes, et en 2024, vous êtes revenu en tant que réalisateur, sur ces mêmes marches. Une trajectoire qui semble tout droit sortie d’un film…

— Alors, pas exactement. J’ai travaillé à la mairie de Cannes, j’étais balayeur. Parce que ma maman, qui était employée municipale, s’occupait des enfants dans les maternelles. Malheureusement, elle est décédée quand j’avais 20 ans. Et comme il existe une tradition à la ville de Cannes, la mairie m’a appelé pour me proposer une place. J’étais saisonnier à l’époque, je ne savais pas quoi faire de ma vie. Alors j’ai dit : d’accord. Et je me suis retrouvé à balayer les rues de Cannes.

Une nuit, on m’a confié le secteur du Palais des Festivals. Il devait être 4 h du matin, c’était dans les années 90 — à l’époque, il n’y avait ni vigile, ni sécurité comme aujourd’hui. On pouvait encore monter les marches, admirer le point de vue des stars. Et je me revois là, à balayer, puis à monter ces fameuses marches, habillé de mon bleu de travail, avec mon plastron jaune fluo. J’arrive en haut, je regarde autour de moi, et je me dis : « Ah, c’est ça qu’on voit du haut des marches… ».

Et là, je m’allonge sur le tapis, les bras en croix, et je prononce à voix haute : « Un jour, tu viendras ici avec ton film ».

Je l’ai fait, 32 ans plus tard.

Évidemment, l’histoire est plus large que ça, mais cette scène-là, c’est celle que les gens retiennent. Elle a traversé l’Atlantique : Radio-Canada, Télé-Québec m’ont appelé en me disant : « Vous êtes une Cendrillon locale ». TF1 a fait un sujet sur moi et l’a titré La plus belle histoire du Festival de Cannes. [Il rit.] Alors oui, on me dit que je vis un rêve américain… à la française.

Mais vous savez, si ça donne de la joie aux gens, eh bien tant mieux. Il y a pire dans la vie que d’avoir des gens heureux pour toi.

La suite ?

Et maintenant ? Avez-vous envie de continuer dans le documentaire ? Ou d’explorer d’autres formats, comme la fiction ?

— Je vais tenter de faire un autre documentaire musical. On cherche encore le sujet. Et j’écris à côté une fiction, adaptée d’une histoire vraie mais que nous allons romancer pour le cinéma.

Et vous, si on réalisait un film sur votre vie un jour… qui aimeriez-vous voir jouer votre rôle ?

— [Rires.] À l’heure actuelle, mon choix n’est pas arrêté… mais j’y réfléchis !

Pour ce film sur votre vie… vous l’imagineriez comment, la musique que Michel Legrand vous aurait écrite ?

— Il écrirait quelque chose de profondément triste à un moment donné… et d’une joie incommensurable à un autre. Parce qu’il y a le tapis rouge, oui, mais aussi la mort de ma maman… Ce déclencheur terrible qui fait que je fais ce métier aujourd’hui.

Donc je pense qu’il composerait quelque chose entre Les Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort.


Une émotion qui déborde l’écran

Après l’interview, un petit verre de vin à la main, nous avons rejoint les spectateurs pour la projection. Si ces quelques mots ne vous ont pas déjà touché, préparez-vous : ce qui saisit dans Il était une fois Michel Legrand, ce n’est pas seulement la virtuosité musicale, mais l’humanité qui s’en dégage — un amour sincère, pudique, indélébile.

Monsieur Ferraris et Monsieur Hertzog Dessites répondant aux questions du public
Monsieur Ferraris, organisateur du Festival de la Lune, et le réalisateur David Hertzog Dessites à la fin de la projection.

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