À bien des égards, l’Uruguay a su préserver, au fil des décennies, une relative stabilité politique et sociale dans un cône sud souvent agité par les vents de la contestation. Mais le 3 juillet 2025 marque un tournant inquiétant : à Montevideo, la Plaza Independencia, haut lieu du pouvoir républicain, a été le théâtre d’un affrontement tendu entre manifestants du Syndicat Unique National des Travailleurs de la Mer et Assimilés (SUNTMA) et les forces de l’ordre. Ce jour-là, une manifestation d’abord pacifique, amorcée devant le Ministère du Travail, s’est conclue dans le tumulte. Arrestations, blessés, vidéos virales… et une annonce sans équivoque du syndicat : une plainte officielle sera déposée contre la police nationale.
Cette montée de tension ne naît pas d’un fait isolé. Elle s’enracine dans une crise structurelle du secteur de la pêche, fragilisé par les politiques néolibérales, l’épuisement des ressources maritimes et les conditions de travail précaires imposées aux marins. Cette volte-face dans la rue s’explique par un sentiment d’abandon : les marins, déjà marginalisés, se heurtent désormais à une répression qu’ils jugent « disproportionnée ». Alexis Pintos, président du SUNTMA, dénonce « une intervention très exagérée de la police », évoquant un manifestant blessé à la tête et des interpellations brutales. La police, quant à elle, se justifie par un « désaccord interne sur la circulation d’un véhicule », ayant dégénéré.
La brutalité de ce revirement interroge les fondements démocratiques d’un pays souvent cité en exemple en Amérique latine. Le sous-chef de la police de Montevideo, Carlos Rodríguez, a reconnu qu’un agent avait été projeté dans une fontaine — incident certes pittoresque, mais révélateur du désordre ambiant. « Notre intervention a été nécessaire pour éviter l’escalade », assure-t-il. Pourtant, cette réponse sécuritaire soulève une autre question : à quel moment l’usage de la force devient-il un écran à l’écoute sociale ? Car derrière l’image d’un manifestant évadé puis rattrapé en quelques minutes, c’est bien l’image d’un État en perte d’équilibre qui se dessine.
« La mer n’attend plus »
Qui peut croire que des marins, usés par des mois de conflit, choisiraient l’affrontement pour le simple plaisir du désordre ? Que ferait un gouvernement soucieux de dialogue face à des travailleurs qui, depuis des mois, multiplient les appels sans réponse ? Que dire d’un appareil d’État qui oppose des matraques à des revendications salariales ? L’accumulation des interrogations souligne une fracture : sociale, politique, et désormais symbolique. Le pouvoir semble avoir préféré la répression au compromis, l’esquive à la négociation.
Quelques jours plus tôt, la Plaza Independencia brillait encore sous les feux de la fête nationale. Aujourd’hui, les traces du passage des forces de l’ordre, les cris dispersés par les gaz lacrymogènes, et l’annonce d’une plainte en justice obscurcissent l’horizon au lieu de l’éclairer. Source 1 Source 2