Le gouvernement indien dirigé par Narendra Modi a récemment confirmé une décision qui pourrait bouleverser durablement le paysage social et politique de la nation : intégrer les castes au prochain recensement national. C’est une première depuis l’indépendance du pays. L’annonce, faite le 30 avril 2025, marque la fin d’un tabou institutionnel vieux de plusieurs décennies. Jusqu’ici, seules les castes dites « répertoriées » — Dalits et Adivasis — figuraient dans les statistiques officielles.
Pourquoi cette décision maintenant ?
Le dernier recensement complet remonte à 2011. Prévu initialement en 2021, le nouveau décompte a été retardé par la pandémie. La relance de l’opération avec l’inclusion des castes constitue donc un acte politique fort. Pour Ashwini Vaishnaw, porte-parole du gouvernement, cette démarche « traduit un engagement envers l’équité et l’intérêt national ».
La caste, bien que critiquée comme un vestige d’un autre temps, reste une réalité sociale et économique en Inde. La majorité des 1,4 milliard d’habitants vivent encore selon une hiérarchie informelle qui structure l’accès aux ressources, à l’emploi et à l’éducation. C’est cette réalité que l’exécutif cherche à objectiver.
Une carence statistique majeure
Depuis 1951, l’Inde ne collecte pas de données précises sur la répartition de toutes les castes. Résultat : l’État fonctionne sans boussole précise sur les conditions réelles des groupes sociaux, mis à part les castes répertoriées et tribus. Cette absence de données empêche une évaluation rigoureuse des politiques de discrimination positive.
Les chiffres manquent. Or, depuis 1992, les quotas réservés à certaines catégories (emplois publics, universités, etc.) ne peuvent dépasser 50 %, sauf justification solide. Or justement, les juges réclament des preuves. Le recensement pourrait fournir cette légitimité légale attendue.
L’enquête du Bihar, un laboratoire grandeur nature
L’État du Bihar a pris les devants. En 2022, il a mené sa propre enquête de caste, une première dans l’Inde post-indépendante. Résultats publiés en octobre 2023 : les castes extrêmement défavorisées (EBC) et défavorisées (BC) représentent à elles seules plus de 63 % de la population locale. Seules 15 % des personnes interrogées appartiennent à des groupes « généraux ».
Autre fait marquant : l’enquête a révélé que près de 34 % des ménages vivent avec moins de 6 000 roupies par mois. Les EBC et les SC (castes répertoriées) sont surreprésentés parmi les pauvres.
Cette enquête, appuyée par des outils numériques comme l’application « Bijaga », pourrait servir de modèle technique et méthodologique au futur recensement national.
Quel impact sur les politiques publiques ?
Les implications sont immenses. L’extension du recensement à toutes les castes permettra d’évaluer l’efficacité des politiques d’inclusion sociale. Elle pourrait aussi servir de base pour réformer le système de quotas, mieux répartir les subventions, ou encore orienter les investissements publics vers les zones marginalisées.
Politiquement, les partis devront ajuster leur stratégie. En disposant de données fines sur la démographie des castes, le pouvoir en place pourrait redessiner la carte électorale ou cibler plus précisément certains électorats.
Une société en attente de reconnaissance
Depuis des décennies, les mouvements sociaux issus des castes défavorisées réclament davantage de reconnaissance. Le recensement est perçu comme un outil de visibilité. Certains y voient même un acte de justice réparatrice. Pour d’autres, notamment dans les élites, cette initiative ravive des tensions identitaires.
Reste la crainte que les données soient instrumentalisées à des fins électorales. Des voix s’élèvent pour demander des garanties de transparence et de neutralité dans la gestion des résultats.
Une étape vers une réforme profonde ?
L’enjeu ne se limite pas à une opération administrative. C’est toute la mécanique de la gouvernance indienne qui pourrait s’en trouver transformée. Accès à l’emploi, à l’éducation, à la santé : autant de domaines où l’État indien s’est engagé à corriger les inégalités. Mais encore faut-il savoir où et pour qui agir. Le recensement permettra d’identifier précisément les groupes les plus marginalisés.
Avec cette décision, l’Inde rouvre un chantier aussi sensible que nécessaire. L’inclusion des castes dans le recensement pourrait servir de socle à une refonte profonde des politiques publiques. Si elle est menée avec rigueur et transparence, cette démarche pourrait renforcer la démocratie indienne en assurant une meilleure justice sociale.
L’expérience du Bihar montre que ce chantier est possible. Il reste maintenant à voir si l’échelle nationale saura relever le défi logistique, politique et éthique. Un recensement pour mieux voir, comprendre, et, peut-être, réconcilier.
Et vous, pensez-vous que ce recensement marquera un tournant décisif pour l’Inde ? Donnez-nous votre avis en commentaire.