Votre feuilleton, offert par Titan-Informatique, spécialiste en dépannage et solutions.
Chapitre 1 – L’Attente
Chapitre 2 – Le Retour à la Basse Ville
Chapitre 3 – Ce que dissimule le sol
Chapitre 4 – L’ombre ne meurt jamais
Chapitre 5 – Le feu de La Garde
Chapitre 6 – Trois types biens
Chapitre 7 – Déconstructions
L’enseigne bleu électrique de BDM – Bières du Monde tranchait la nuit de La Garde comme un néon mal réglé, clignotant sur les bagnoles mal garées et les rires gras d’une terrasse surpeuplée. À l’intérieur, l’atmosphère était celle d’un volcan qui n’explosait jamais, mais grondait sans relâche. Odeur de houblon, sueur, cuivre et son saturé.
Delphine poussa la porte avec Barbara juste derrière elle. Le choc thermique entre la rue fraîche et la chaleur du pub la fit cligner des yeux. Le vacarme la prit à la gorge.
Un long comptoir de bois sombre, verni par des années de service, s’étalait sur toute la longueur du mur gauche. Derrière, un enchevêtrement de tireuses à bière — vingt-deux, pas une de moins — éructaient des mousseuses du monde entier sous les mains nerveuses des serveurs. Le sol collait sous les pas. Au fond, une cave vitrée laissait entrevoir un trésor : plus de trois cents bières bouteilles, classées par origine, amertume, degrés d’alcool et originalité. De quoi faire fondre un moine trappiste.
Et au milieu du chaos, une estrade. Trois types s’y débattaient avec des guitares râpeuses et une batterie trop forte. Le groupe, Trois Types Biens, balançait un rock punk débraillé, sincère, mais peu écouté. Le public, concentré sur ses conversations et ses verres, ne leur accordait qu’un vague balancement de tête.
Barbara s’était déjà fondue dans le décor. Elle ondulait, souriait, sa voix douce flattait les égos derrière les barbes. Son regard finit par se poser sur un homme massif en t-shirt noir, un bras en écharpe. Alex.
Delphine la vit poser une main sur son torse. Il riait, gêné, ses yeux cherchant une échappatoire pendant que son autre main griffonnait une note sur un calepin, sans cesser de gérer les stocks, les livraisons, les erreurs de caisse. L’attelle à son bras droit, séquelle d’une altercation récente avec un client trop chargé, ne l’empêchait visiblement pas de courir après le temps.
Barbara, elle, s’en foutait. Elle flattait, jouait, effleurait. Delphine détourna le regard, écœurée. Tout ça puait la comédie.
Elle fit demi-tour. Son téléphone n’avait plus de batterie et elle avait laissé son chargeur dans la voiture. Elle ressortit, l’air frais comme une gifle bienvenue sur la nuque. À peine sortie, elle jeta un œil autour d’elle, par habitude, par paranoïa — elle ne savait plus.
Et elle le vit.
Une silhouette, haute, fine, d’une précision dérangeante. Un homme ? Difficile à dire. Il portait un sweatshirt à capuche noir, qui masquait tout de son visage. Il s’arrêta net quand elle tourna la tête, comme s’il s’était figé dans un vieux film mal monté.
Elle accéléra le pas vers sa voiture.
L’ombre aussi.
Pas de bruit. Juste une présence.
Delphine se figea. Une peur sale lui tordait les tripes. Elle fit volte-face, traversa la rue et se rua vers l’entrée du pub. La musique, les rires, les odeurs : tout devint soudain rassurant. Vivant. Normal.
Elle jeta un œil par-dessus son épaule. L’ombre était entrée. Mais ici, parmi la foule, elle n’était plus qu’un client comme un autre. Une silhouette supplémentaire dans la marée humaine. Invisible. Intégrée.
Delphine fendit la foule, le souffle court. Elle bouscula un serveur, s’excusa à peine, et fonça vers les toilettes. Elle se répétait que c’était un cauchemar, une résurgence de son sommeil interrompu en voiture. Une mauvaise digestion de peur.
Elle poussa la porte des toilettes femmes, encore trop occupées. Elle bifurqua à gauche, vers les toilettes handicapés, espérant y reprendre son souffle.
Mais elle n’en eut pas le temps.
Une poigne d’acier l’agrippa par la taille. Tout alla très vite. Ses pieds quittèrent le sol, sa tête heurta presque le plafond. L’air fut chassé de ses poumons. Elle voulut hurler, mais seul un souffle rauque sortit de sa gorge.
La créature — non, l’homme, l’ombre, la chose — la portait comme une poupée de chiffon. Elle vit les dalles au sol, les portes qui défilaient à l’envers, les néons tremblants. Puis la porte des toilettes handicapés s’ouvrit brutalement, et elle y fut projetée sans ménagement.
La porte se referma. Un clic sec.
Silence.
Et derrière elle, le souffle de la bête. Humain, ou presque.
Delphine, plaquée contre le mur des toilettes handicapés, la joue collée aux faïences humides, sentit chaque battement de son cœur cogner dans ses tempes. Ses mains tremblaient, ses genoux menaçaient de céder. Elle n’osait pas bouger. L’odeur de javel, mêlée à celle du métal et de la sueur, emplissait l’air.
Elle ne comprenait rien. Ou plutôt, elle refusait encore de comprendre.
Qui l’avait suivie ? Pourquoi ? Et surtout… comment était-il entré sans se faire remarquer ?
Lentement, avec une lenteur presque théâtrale, elle tourna la tête, puis le buste, jusqu’à faire face à son agresseur.
Et là, dans le halo jaunâtre du néon clignotant, elle vit un visage.
Un visage qu’elle connaissait.
Un visage qu’elle n’aurait jamais dû voir ici, dans ces circonstances.
Ryan.
Ou plutôt le Ryan du tabac, comme elle l’avait toujours appelé mentalement. Ce type à la dégaine sale, barbe épaisse, teint grisâtre, parfois soûl, parfois stone, toujours là à traîner autour de la presse à journaux, demandant une clope, parfois un café. Un SDF, oui. Un de ceux qu’on ignore avec un pincement de culpabilité.
Il n’avait plus rien du loqueteux de la rue. Debout, imposant, le regard aiguisé comme une lame. Il retira lentement sa capuche trempée, révélant des cheveux plaqués, un visage dur, froid, structuré.
Delphine ouvrit la bouche. Un hurlement. Un cri. Une insulte. Un appel à l’aide. Elle n’eut pas le temps de choisir.
Ryan avança d’un pas vif, plaqua sa main sur sa bouche.
« Tais-toi. »
Sa voix était calme. Contrôlée. Tranchante.
Elle voulut le mordre, hurler, se débattre. Mais elle s’arrêta net à ses mots suivants.
« Je m’appelle Jean René Oriol. »
Une pause.
« Capitaine Jean René Oriol. DGSI. »
Delphine cessa de respirer.
Ses yeux s’agrandirent. Elle ne savait plus si elle était réveillée, morte ou encore dans un de ces cauchemars absurdes. L’homme, celui qu’elle avait toujours pris pour un marginal, un paumé, se redressa et retira de la poche intérieure de son sweat une carte, à demi visible.
Logo officiel. Tampon. Hologramme.
Tout s’effondra dans sa tête.
« Écoute-moi bien, » dit-il doucement, en relâchant sa bouche. « Je n’ai pas beaucoup de temps. Tu crois connaître ton petit ami. Tu crois qu’il t’aime. Mais ce type… est un traître. Un vrai. »
Elle secoua la tête, d’abord dans le déni. Puis dans un geste presque animal, de panique pure.
« Il t’a approchée pour une raison. Il savait qui tu étais. Ce que tu savais. Ce que tu pouvais voir. Tu étais une cible. Pas un coup de cœur. »
Elle faillit flancher. Il la rattrapa d’une main ferme.
« J’ai vécu dehors pendant des mois pour remonter sa trace. Il n’est pas seul. Il y en a d’autres. »
Elle tenta de parler, sa gorge nouée. Il la coupa.
« Je vais te poser une seule question, et tu dois répondre honnêtement : a-t-il déjà tenté d’accéder à ton ordinateur portable, à ton téléphone, ou à ton cloud ? »
Delphine cligna des yeux.
« Je… Il m’a demandé mon mot de passe une fois, pour m’installer une appli. »
Oriol ferma les yeux, un instant. Comme si tout venait de se confirmer.
« Voilà. »
Il sortit un minuscule dispositif noir de sa poche, le lui glissa dans la main.
« Garde ça sur toi. À partir de maintenant, tu n’es plus une civile. Tu es une cible. »
De l’autre côté de la porte, la musique vibrait. Les basses, les cris, les rires. Le monde normal. Le monde d’avant.
Oriol attrapa la poignée.
« Je vais sortir d’ici. Toi, tu restes quelques minutes. Tu respires. Tu te calmes. Et ensuite, tu fais ce que je te dis. Tu ne le contactes pas. Tu ne rentres pas chez toi. Et tu me rejoins ici. »
Il glissa un petit papier chiffonné sur le lavabo.
« Une adresse. Une heure. Ce soir. Si tu ne viens pas, tu signes ton arrêt de mort. Et peut-être celui de dizaines d’autres. »
Il la regarda droit dans les yeux, puis ouvrit la porte.
Et disparut.
Delphine s’écroula sur les toilettes, toujours tremblante. Le boîtier noir dans sa paume brûlait comme du métal chauffé à blanc.
Tout ce qu’elle croyait savoir venait de voler en éclats.
Et dans le vacarme sourd du concert, personne ne s’aperçut que le monde venait de changer.
Chapitre 1 – L’Attente
Chapitre 2 – Le Retour à la Basse Ville
Chapitre 3 – Ce que dissimule le sol
Chapitre 4 – L’ombre ne meurt jamais
Chapitre 5 – Le feu de La Garde
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