Pour ce mois de juillet, je vous propose de partir à la découverte de l’été… non pas celui des plages, des barbecues et des glaces à l’italienne, mais celui, parfois inquiétant, que le cinéma sait nous offrir. Et quoi de mieux pour commencer ce voyage qu’un film où le soleil ne se couche jamais ?
Midsommar (2019), réalisé par Ari Aster, fait de la lumière estivale un véritable piège, un décor aussi beau que cruel.
Suite à une tragédie familiale, Dani (incarnée par Florence Pugh) décide de partir en Suède avec son petit ami et un groupe d’amis pour assister à une fête traditionnelle célébrée par une communauté rurale isolée. Mais derrière les couronnes de fleurs et les chants folkloriques, quelque chose d’inquiétant se trame.

L’été, un moment de convivialité… ou d’exclusion
Dans Midsommar, le soleil ne se couche jamais, et pourtant Dani sombre lentement dans l’ombre. Le film montre à quel point l’été — qu’on associe d’ordinaire aux retrouvailles, à la joie et à l’ouverture aux autres — peut aussi exacerber le sentiment de solitude.
Comme l’écrit Murielle Joudet, critique de cinéma aux Inrockuptibles : « L’été dans Midsommar n’est pas une promesse de renouveau, mais une épreuve d’exposition. Sous la lumière permanente, aucun secret ne peut être dissimulé, aucun chagrin tu. »
(Les Inrockuptibles, juillet 2019)
Dani est étrangère à ce groupe d’amis, étrangère à ce pays, étrangère à cette tradition. Ce triple déracinement la fragilise. La psychologue australienne Glenn Albrecht a forgé le terme de solastalgie pour désigner cette détresse liée à la perte d’un environnement familier — un mal moderne que le film illustre de manière symbolique.
Une esthétique trompeuse : la joie de vivre en surface
Midsommar séduit par son esthétique lumineuse et florale : broderies, chants, végétation luxuriante, rituels collectifs filmés avec rigueur. Tout est clair, presque paisible — et c’est précisément ce qui dérange.
Ari Aster détourne les codes du film d’horreur : pas de pénombre, pas de jump scares, mais une tension insidieuse, qui croît au rythme du soleil omniprésent. Le critique Jacques Mandelbaum écrit à ce sujet : « Ari Aster invente un film d’horreur diurne, où la lumière crue devient le plus grand danger. »
(Le Monde, 9 juillet 2019)
L’esthétique folklorique nordique, avec ses décors manuels et ses visages paisibles, fonctionne comme un leurre. Le film nous invite à remettre en question ce que l’on voit : la beauté n’est pas toujours synonyme de bienveillance.
Injonction au bonheur : un été sous pression
À contre-courant des teen movies estivaux ou des comédies romantiques solaires (Grease, Call Me By Your Name…), Midsommar explore un été plus cruel, plus intérieur. Pas de plage, pas de flirt léger : ici, la chaleur est pesante, les silences sont lourds, et les relations se fissurent.
Dans une société où l’été est perçu comme une pause obligatoirement joyeuse, ceux qui vont mal se sentent d’autant plus décalés. La psychologue Marie-Frédérique Bacqué rappelle que : « Le deuil est socialement mal accepté, encore plus pendant les périodes festives. » (Le Monde, dossier “Vivre avec ses morts”, novembre 2020)
Midsommar met en scène cette douleur invisible. Dani, encore marquée par le choc initial, ne parvient pas à “aller bien” — et l’environnement solaire rend son mal-être plus insupportable encore.

Un été de solitude pour les oubliés
Ce film met aussi en lumière une autre réalité souvent passée sous silence : l’isolement social pendant l’été.
Les jeunes sans ressources, les personnes âgées restées seules pendant que leurs proches partent en vacances, les endeuillés ou les malades : autant de figures invisibles, absentes des récits estivaux traditionnels.
La sociologue Claude Martin écrit à ce propos : « Les périodes de vacances creusent les inégalités de solitude. Loin d’être un moment de répit pour tous, l’été révèle au contraire l’absence de liens pour certains. » (France Stratégie, rapport sur l’isolement, 2020)
Midsommar utilise la fiction pour rappeler que l’été peut être une saison violente — pas par ses orages, mais par ses silences.
Identité, effet de groupe et dérive collective
Enfin, le film propose une réflexion troublante sur le sentiment d’appartenance. Dani est marginalisée dans son cercle intime ; pourtant, au contact d’une communauté qui semble l’accueillir, elle retrouve un semblant de place.
Cela pose une question ambivalente : à quel prix accepte-t-on d’être intégré ?
Comme l’écrit le psychanalyste Didier Anzieu : « Le groupe donne un sentiment de sécurité, mais il peut aussi étouffer l’individu. » (Le groupe et l’inconscient, 1984)
Le film brouille les pistes : est-ce une libération ou une perte d’identité ? Un refuge ou une prison dorée ? Le spectateur, comme Dani, navigue entre fascination et malaise.
Rituels païens et besoin de repères
En filigrane, Midsommar interroge notre époque désenchantée. En l’absence de rites collectifs, que reste-t-il pour traverser le deuil, le passage à l’âge adulte ou la séparation ?
La communauté du film, aussi inquiétante soit-elle, offre des rituels, des cycles, des significations — là où nos sociétés individualistes laissent parfois les plus fragiles face au vide.
Le philosophe Edgar Morin écrivait : « À travers la fête, les sociétés traditionnelles inventaient des moyens de symboliser les ruptures. Dans nos sociétés modernes, ces passages sont devenus des crises. » (La Voie, 2011)

Fleurs et vertige
Avec Midsommar, Ari Aster nous rappelle que l’été n’est pas la saison de l’insouciance pour tout le monde. Les blessures ne se referment pas à la chaleur du soleil.
L’horreur, ici, n’a pas besoin de ténèbres — elle s’infiltre dans les silences, les sourires, et les rituels.
Finalement, s’il n’y a pas de période pour être malheureux, il n’y en a pas non plus pour être heureux. Et cette lucidité, paradoxalement, a quelque chose de libérateur.
A propos de Midsommar :
Interdit aux moins de 12 ans, déconseillé avant 16 ans et aux personnes psychotiques.
Disponible en prêt à la médiathèque Chalucet et Roseraie.