Un engrais bio ou une solution à risques ?
L’utilisation de l’urine humaine comme engrais pour les jardins, autrefois une pratique répandue, revient aujourd’hui au cœur des débats environnementaux. Entre bénéfices agronomiques et questionnements sur les risques sanitaires, le Conseil Scientifique de la Société Nationale d’Horticulture de France (SNHF) nous éclaire sur cette pratique controversée.
Composition chimique : une richesse naturelle sous-estimée
L’urine humaine est principalement composée d’eau, d’urée, de sels minéraux et de déchets métaboliques. En moyenne, une personne produit environ 1,5 litre d’urine par jour, soit environ 500 litres par an. Cette substance, longtemps perçue comme un simple déchet, contient pourtant de nombreux éléments intéressants pour l’agriculture et le jardinage.
Dans un litre d’urine, les principaux éléments nutritifs incluent :
- Azote (N) : 8,7 g, principalement sous forme d’urée.
- Phosphore (P2O5) : 1,7 g.
- Potassium (K2O) : 2,5 g.
Cependant, la composition exacte de l’urine varie en fonction de l’alimentation, de la région et des habitudes de consommation. Il est important de noter que les substances comme le chlorure de sodium, bien que présentes en petites quantités, peuvent s’accumuler et devenir problématiques pour certaines plantes sensibles au sel.
Évolution chimique et stockage : attention à l’ammoniac !
Lorsqu’elle est fraîche, l’urine est peu odorante et légèrement acide (pH 6,5 à 6,9). Cependant, une fois exposée à l’air, l’urée qu’elle contient se décompose rapidement en ammoniac, dégageant une odeur caractéristique et faisant grimper son pH à environ 9. Ce phénomène entraîne également la libération de gaz à effet de serre et une volatilisation de l’ammoniac. Il est donc recommandé de stocker l’urine dans des récipients fermés pour minimiser ces pertes.
La bonne nouvelle ? Après un stockage d’environ un mois à une température minimale de 20°C, l’urine devient plus stable et plus sûre à utiliser comme fertilisant. En effet, l’ammoniac contenu dans l’urine agit comme un agent désinfectant, éliminant la plupart des agents pathogènes. Ce procédé est déjà bien établi dans des pays comme le Danemark, où un stockage de trois mois est préconisé avant utilisation dans les cultures.
Cadre légal et précautions à prendre
Malgré l’intérêt croissant pour l’utilisation de l’urine en agriculture, il n’existe pas encore de réglementation claire en France ou au niveau européen. Toutefois, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande un stockage préventif d’un mois pour réduire les risques de contamination par des pathogènes. Le cahier des charges de l’agriculture biologique (AB) n’interdit pas non plus l’utilisation de l’urine, tant que celle-ci est diluée ou fermentée.
Il est essentiel de respecter certaines précautions, surtout si les cultures fertilisées sont destinées à être consommées crues. Une période de sécurité d’au moins un mois est recommandée entre la dernière application d’urine et la récolte.
L’urine, une solution durable pour l’agriculture de demain ?
Dans une démarche d’économie circulaire, le recyclage de l’urine pour l’agriculture représente une alternative durable aux engrais chimiques, souvent coûteux et énergivores. Les engrais azotés, par exemple, nécessitent une grande quantité d’énergie pour leur production via le procédé Haber-Bosch. Par ailleurs, les réserves mondiales de phosphates, composante clé des engrais, s’épuisent progressivement.
En recyclant l’urine, nous pourrions contribuer à réduire la dépendance aux ressources naturelles non renouvelables. Les phosphates présents dans l’urine sont directement assimilables par les plantes, contrairement à ceux des engrais industriels qui se fixent souvent dans les sols calcaires.
Des bénéfices reconnus, mais pas sans contraintes
Si l’utilisation de l’urine comme fertilisant offre des avantages économiques et environnementaux, elle présente néanmoins certaines contraintes. Par exemple, son équilibre chimique (0,87N, 0,17P2O5, 0,25K2O) ne convient pas à toutes les plantes, surtout celles qui nécessitent plus de potassium. De plus, l’urine riche en ammonium peut s’avérer toxique pour certaines plantes si le sol est trop froid, car les bactéries responsables de la nitrification (transformation de l’ammonium en nitrate) fonctionnent mal à basse température.
Usage individuel et solutions pratiques
Pour un jardinier amateur, l’usage occasionnel d’urine fraîche, non stockée, peut s’avérer utile pour humidifier et activer un compost. Cependant, une utilisation plus régulière nécessite de prendre en compte certains aspects logistiques, notamment la gestion des odeurs et la prévention de l’accumulation de sels dans le sol.
Des solutions techniques existent déjà pour une utilisation collective ou publique. En Suède, par exemple, des toilettes à séparation d’urine sont couramment utilisées, facilitant la collecte et le traitement de ce liquide précieux. En zone rurale, notamment en Afrique subsaharienne, des dispositifs simples de collecte d’urine dans des bidons colorés permettent également de recycler cette ressource.