L’Équateur, autrefois havre de paix, est désormais plongé dans un « conflit armé interne » impliquant des gangs de narcotrafiquants. Depuis l’évasion spectaculaire du trafiquant Fito et la prise d’otages diffusée en direct, le président Daniel Noboa a déclaré un état de conflit armé interne. Comment ce pays a-t-il pu sombrer si rapidement dans le chaos après avoir été une oasis de tranquillité il y a moins de dix ans ?
Le Spectre du Narcotrafic s’étend
Selon Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste de l’Amérique latine, la lutte contre le trafic de drogue pourrait être l’un des éléments qui contribuent à l’aggravation de la situation. En effet, l’Équateur est devenu le principal point d’exportation de la cocaïne vers les États-Unis et l’Europe au cours des cinq à six dernières années.
Les Facteurs Convergents
Plusieurs facteurs expliquent cette évolution rapide. La dollarisation dans les années 2000 a facilité le blanchiment d’argent, attirant ainsi les acteurs du crime organisé. La position géographique de l’Équateur, frontalier avec la Colombie et le Pérou, principaux producteurs de cocaïne, en fait un hub majeur pour la circulation de la drogue. De plus, une dizaine de groupes sous-traitants, contrôlés par des cartels mexicains, ont étendu leurs activités en réponse aux politiques de guerre contre la drogue.
Le Triptyque Dévastateur
La crise économique de 2016, suivie de politiques d’austérité draconiennes du président Lenín Moreno, a affaibli les services publics, créant un vide que les narcotrafiquants ont rapidement comblé. La pandémie de Covid-19 a accentué ce délabrement en faisant des trafiquants de drogue des « criminels protecteurs », remplaçant ainsi l’État en offrant travail et sécurité dans un contexte de pauvreté touchant près de 27 % de la population.
Corruption et Légalisation des Armes à Feu
La corruption endémique, touchant tous les niveaux de l’État, a prospéré dans ce contexte. De la légalisation généralisée des armes à feu par l’ancien président Guillermo Lasso à la condamnation pour corruption de l’ex-président Rafael Correa, la société équatorienne a été rongée de l’intérieur.
La Guerre des Cartels
Aujourd’hui, deux cartels principaux, Los Choneros et Jalisco nueva generación, se disputent le contrôle en Équateur. Les affrontements, autrefois confinés aux prisons et quartiers populaires, se sont intensifiés, démontrant une rivalité féroce entre les deux groupes.
Un État Impuissant
Les prisons sont devenues des arènes pour cette démonstration de force, avec des émeutes ayant déjà fait des dizaines de morts en une journée. Pour Lucie Laplace, chercheuse en science politique, il s’agit également d’une intimidation de l’État et d’une dissuasion envers tout acteur de la justice, de la police ou du journalisme.
Une Guerre Perdue d’Avance ?
Malgré les efforts pour éradiquer le trafic de drogue, Christophe Ventura souligne que la guerre contre les narcotrafiquants est vouée à l’échec. La consommation mondiale de drogues ne cesse d’augmenter, et la militarisation de la lutte semble illusoire. Pour Jimena Reyes de la Fédération internationale pour les droits humains, la solution radicale serait de « légaliser toutes les drogues au niveau mondial », coupant ainsi l’herbe sous le pied des criminels.