Une Spiritualité entre Omniprésence de Shiva et Rejet des Normes Sociales
Les Aghoris, adeptes d’un courant de l’hindouisme peu conventionnel, suscitent la curiosité par leurs pratiques énigmatiques et leurs croyances hors normes. Dérivés du sanskrit « A-ghora » – littéralement, « ce qui n’est pas terrible » – ces ascètes hindous se distinguent par une philosophie singulière, axée sur le détachement des notions de pureté et d’impureté. Connus pour leur lien au shivaïsme tantrique, les Aghoris sont souvent associés à des pratiques dérangeantes pour la société traditionnelle, comme des rituels effectués dans des crématoires (Smashan) et la consommation d’éléments impurs pour atteindre un état spirituel supérieur. Mais qui sont vraiment ces adeptes de la « voie sans obstacles », et pourquoi suscitent-ils autant de controverses en Inde et au-delà ?
La Genèse du Mouvement Aghori : Une Voie sans Peur ni Obstacles
Historiquement, le terme « Aghora » apparaît dans l’Atharva Veda, l’un des plus anciens textes sacrés de l’hindouisme. Contrairement au concept de « Ghora », synonyme de difficulté et d’ignorance, « Aghora » incarne un état d’acceptation, exempt de peur et de contraintes sociales. Associée à la divinité Prajapati, cette « voie sans obstacles » ouvre un chemin vers l’atteinte de la félicité (Ananda) par l’abandon de l’illusion (Avidya). Ainsi, les adeptes de cette voie, appelés Aghoris, sont perçus comme des êtres cherchant à transcender les conventions pour atteindre l’unité divine.
Les Racines Tantriques et L’Évolution des Pratiques Rituelles
Les Aghoris sont souvent reliés aux Kapalika, un groupe de sadhus, ascètes indiens, également adeptes de rites inhabituels. Ces premiers Kapalika, aussi connus sous le nom de « porteurs de crâne », effectuaient des rituels à l’aide de crânes humains et cherchaient à maîtriser des forces spirituelles à travers une dévotion austère. Dans la tradition shivaïte, ces pratiques s’inscrivent dans l’un des cinq aspects de Shiva : Aghora, symbolisé par la couleur noire et associé à l’extinction de l’égo et des illusions. Aujourd’hui encore, certains Aghoris s’habillent de noir pour se rapprocher de cet aspect de Shiva.
Les lieux de prédilection des Aghoris incluent les crématoires – perçus par eux comme des espaces sacrés – où ils méditent pour affronter la mort et la fragilité de l’existence. À travers ces rituels, les Aghoris espèrent accéder à la libération (moksha) en transcendant les cycles de réincarnation.
Un Système de Transmission Spirituelle : La Lignée des Maîtres Aghoris
L’enseignement Aghori se transmet de maître à disciple, dans une lignée de transmission remontant, selon les croyances, au demi-dieu Dattatreya, considéré comme le premier guide spirituel des Aghoris. Pour ces adeptes, la quête spirituelle ne peut se faire sans un maître, ou « Guru », qui initie le disciple à travers une cérémonie de diksha, ou initiation. Ce rite de passage comporte la transmission d’un mantra sacré, que le disciple devra réciter pour approfondir son parcours spirituel.
Aghoreshwar Bhagvan Ram, un maître respecté de l’école Aghori Kina Ram, a modernisé certaines pratiques en rejetant la consommation de stupéfiants pour privilégier des actions de charité, comme les soins aux plus démunis et aux intouchables. Pour lui, le véritable crématoire réside dans les lieux abandonnés du monde moderne, symbolisant l’impureté et la souffrance des oubliés de la société.

Des Rituels Intrigants et Énigmatiques : Rumeurs et Réalités
Les pratiques des Aghoris, souvent incomprises et mal interprétées, ont nourri de nombreuses rumeurs, principalement à cause de leur association avec la mort et l’impureté. La méditation sur des cadavres (Shav Sadhana) est un rituel visant à transcender les illusions de la dualité. Cependant, loin des représentations sensationnelles, cette méditation symbolise le lâcher-prise sur les apparences et la matérialité.
D’autres pratiques incluent des rituels de purification spirituelle, considérés comme des formes de « médecine spirituelle ». Les Aghoris affirment posséder la capacité d’absorber symboliquement la souffrance et de transformer cette énergie négative en santé par la méditation sur la puissance universelle de Shakti, l’énergie divine féminine. L’objectif ultime est d’atteindre un état d’équanimité, où la conscience est libérée des notions de pureté et d’impureté.
Le Regard de la Société et les Clichés Médiatiques : Entre Fascination et Méprises
La société hindoue traditionnelle perçoit les Aghoris avec méfiance, les accusant de pratiques occultes, parfois même de sorcellerie ou de sacrifices humains. Dans un climat de rumeurs et de mythes, les médias occidentaux ont également contribué à façonner une image sensationnaliste des Aghoris, les présentant souvent comme des adeptes de pratiques extrêmes. Cependant, les représentants de l’école Kina Ram insistent sur le fait que les Aghoris ne sont ni tantriques ni engagés dans des pratiques occultes. Baba Bhagvan Ram, une figure influente parmi les Aghoris, critique cette déformation de la réalité : pour lui, les Aghoris incarnent une voie intérieure de recherche spirituelle, loin des rituels spectaculaires.
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Source 2